Pourquoi il m’est important de faire le Seder même seule, Claire Luchetta-Rentchnik

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Dans ma dernière newsletter, j’ai demandé parce que c’est une question que je me pose, quel sens donner à ce Seder au temps du coronavirus, sans enfants, sans parents, sans frères et soeurs, sans petits-enfants, sans amis,  pourquoi est-il important pour vous de faire le seder même seul ?
Claire Luchetta-Rentchnik, une fidèle lectrice de Genève m’a répondu et elle m’a donné l’autorisation de publier sa réponse.
Pourquoi il m’est important de faire le Seder même seule
Il m’est important de faire le seder même seul.e car justement je ne serai pas seule. Je sais qu’à Pessah des millions de Juifs feront le seder en même temps que moi et que je ne serai pas seule.
Ensemble nous casserons la matza et cacherons l’afikomen, ensemble la veille déjà nous aurons brûlé le hamets et préparé le plateau.
Ensemble nous lèverons nos verres sans y tremper nos lèvres, puis ensemble nous énumèrerons les plaies, entonnerons
en chœur Dayenou.
Nos enfants poserons les questions et nous nous accouderons sur le côté gauche buvant le vin de joie et mangeant le sandwich de Hillel. Ouvrons la porte pour Elie !
Mais non, je ne serai pas seule le soir du Seder car cette année, peut-être encore plus que les autres années, j’entendrai les voix de mes grands-pères, et celle timide de mon père, raconter comment nous sommes sortis d’Egypte, pourquoi l’ange de la mort a ignoré nos maisons, j’entendrai aussi les sanglots des Égyptiens qui pleureront leur fils ainé, le croassement des grenouilles, les crissements des sauterelles frottant leurs élytres, se régalant du blé qui ne nourrira personne et je verrai les mains recouvertes de lèpre gratter des corps pustuleux. Comme chaque année nous tremblerons au son des galops des chevaux de Pharaon jusqu’à ce que le Saint béni soit-il referme les eaux qu’Il avait ouvertes pour nous, pour chacun d’entre nous et pour tous ceux qui depuis des siècles du sud au nord, d’est en ouest, dans les sables des déserts et la débâcle des printemps russes racontent encore et encore l’histoire sans cesse vécue, sans cesse renouvelée de notre délivrance. Nous serons des millions autour de la table, ceux qui sont entrés captifs dans Rome, ceux qui portaient la rouelle au Moyen âge, ceux qui se terraient dans les shtetls lorsque déferlaient les hordes de cosaques, ceux qui, vêtus de soie brillante,  conseillaient les princes d’Orient ou espagnols,   ceux dont les enfants tenteront de fuir les bûchers de l’Inquisition et ceux, si proches de nous que j’entends leur voix meurtrie, que je vois leurs bras bleuis et décharnés, ceux qui fêtaient notre libération jusqu’aux crématoires.
Je les reconnaitrai nos artistes, nos peintres, nos savants et nos sages, ceux qui ont quitté la vieille Europe avec l’espoir et le travail pour tout vêtement. Ils seront tous avec moi et je serai avec eux le soir du Seder comme jamais, maille fine d’un tricot usé mais solide, d’un filet où pas une maille ne manquera à travers le temps et l’espace….
Pas un Juif ne sera seul ce soir.
©Claire Luchetta-Rentchnik, Genève

Premier Seder à Jérusalem, 1949, par le peintre Reuven Rubin, il s’est représenté accoudé au bout de la table

     
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