Entre mosquée et cinéma

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Rue HaYarkon, coin de Ezra HaSofer. Quelques maisonnettes à un étage, certaines à toits de tuiles, délabrées, derniers vestiges d’une époque révolue. Au bout de la rue, la mosquée Hassan Bek se reflète sur la façade vitrée de l’imposant hôtel Dan Intercontinental. A chaque croisement de rue, le bleu de la mer au loin. Entre les bâtiments, des palmiers.

Au coin de la rue Nehamia, l’atelier de Ram Meiri, le premier à avoir dans les années 80 dessiné sur les murs de Tel Aviv. C’est un maître du trompe-l’oeil. Il vient de publier un livre intitulé Talking walls, Les murs parlent. La maison est totalement tagguée et les murs alentours aussi. Sur le mur d’une vieille maison, une femme semble porter la nouvelle tour à bout de bras et les lignes horizontales du bâtiment sont comme la réplique des meurtrières des fenêtres en bois.
Me voilà devant la mosquée Hassan Bek construite à la fin de l’époque ottomane, pendant la Première Guerre mondiale, en 1916, à Manshia, un quartier construit autour de 1830 au nord de Jaffa pour héberger de la main d’oeuvre égyptienne. La mosquée a été conçue par Ben Zion Gini, un architecte juif originaire d’Izmir qui a aussi dessiné la mairie de Gaza, participé à la rénovation de la mosquée d’Omar et du Saint Sépulcre. On dit qu’Hassan Beck, le gouverneur militaire de Jaffa, a voulu construire une mosquée à cet endroit à l’époque excentré pour enrayer le développement de Tel Aviv. On dit aussi qu’il aurait détourné des matériaux destinés à la construction de Tel Aviv pour sa mosquée et qu’il faisait travailler les ouvriers arabes de jour comme de nuit. Beaucoup moururent. Une fois la mosquée terminée, les ouvriers refusèrent d’y prier.
La mosquée Hassan Beck bien qu’elle soit indissociable du paysage urbain de Tel Aviv n’a pas bonne presse. Avant et pendant la Guerre d’indépendance, c’est de son minaret que des tireurs d’élite ciblaient les passants juifs. Après de durs combats, elle est prise, en avril 1948,  par des membres de l’Irgoun qui voulurent la faire sauter mais leur commandant Menahem Begin s’y opposa. En 1983, le minaret s’est effondré, il a été reconstruit encore plus haut. Au début des années 2000, nouvelle restauration grâce à des fonds provenant d’Arabie Saoudite et de Jordanie. Et le minaret grandit encore ! Pourtant à côté des hôtels, il ne semble pas si haut.
Je tourne à droite dans la rue Yosef Levi, le commandant de l’Irgoun à Tel Aviv, qui combat à Jaffa.  Il est mort des suites de ses blessures deux mois avant la Déclaration d’Indépendance d’Israël. Puis à droite encore dans HaMered, La révolte, le nom donné à la lutte de l’organisation militaire sioniste, Irgoun ou encore Etzel, contre les Anglais, avec à sa tête Menahem Begin qui intitulera ainsi sa biographie.
Enfin, je dois tourner à gauche dans la rue Shabtaï Don-Yechiya. Un illustre inconnu. J’apprend qu’il a été le rédacteur en chef du journal Hatsofe, la voix du sionisme religieux de 1937 à 2008. Un mur de graffiti : Save your brain, Sauvez votre cerveau puis des hommes et un cheval en noir et blanc.
La rue se transforme en rue Pines. Je remarque sur un balcon deux jolis parasols aux couleurs arc-en-ciel entrouverts. Je tourne à droite dans la rue Shabazi, la rue commerçante de Nevé Tsedek. Shabazi était l’un des grands poètes juifs du Yémen au XVIIe siècle. Il écrivait en hébreu et en arabe. Les paroles de la chanson Im Nin’Alu qui a rendu Ofra Haza célèbre à l’internationale sont de lui. Je dépasse la librairie Sipour Pachout, une histoire simple, d’après le titre d’un très beau livre de Shai Agnon. Près de la librairie, sur un présentoir, des livres à emprunter, je prends le livre de recettes : 60 délicieux souvenirs du Pays du Lait et du Miel. J’arrive à un petit square où se trouve une nouvelle oeuvre de Maya Gelfman, – celle qui tricote des coeurs un peu partout dans Tel Aviv – , c’est un envol d’oiseaux. Je tourne dans la rue Shloush, dépasse la maison avec les sujets en terre cuite, l’Art Forum de Naomi Givon, l’école Marc Chagall en travaux, le magasin Hafatsim.
Je tourne à gauche dans Menahem Steyn, l’un des fondateurs du quartier. Venu de Pologne en 1855, il était médecin et a créé le premier hôpital juif à Jaffa, Shaar Sion et aussi la bibliothèque du même nom qui deviendra l’excellente bibliothèque municipale Beth Ariela près du Musée de Tel Aviv. Agréable ruelle, les bougainvillées se succèdent, du fuschia au blanc. Les portails, du bleu au brun.
A droite et tout de suite à gauche et je me retrouve face au Cinéma Eden, qui a aidé au financement de la construction de la mosquée Hassan Beck. Hassan Beck aimait beaucoup le cinéma et venait régulièrement assister à des séances avec son entourage.  Gratuitement bien sûr et de plus, il partait avec la caisse. Une participation généreuse des habitants cinéphiles de Névé Tsedek à la construction de la mosquée.

Graffiti de Rami Meiri

Graffiti de Rami Meiri

La mosquée Hassan Beck à Tel Aviv

La mosquée Hassan Beck à Tel Aviv

 

Névé Tsedek

Névé Tsedek

cinéma eden

Le Cinéma Eden à l’abandon

 

Lire la marche précédente : On dirait la rue Sheinkin

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Tel Aviv, En marchant, en écrivant: Marche n°26

Distance parcourue: 1. 600 kilomètre

Date:  7 septembre 2014/ 12 Ellul 5774

Pour lire toutes les marches du projet Tel Aviv, en marchant, en écrivant

 

 

     
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