La rue HaYarkon : De la tour de l’Opéra à Gordon

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J’ai vu un documentaire d’Ohad Milstein, Planètes, Quatre Variations sur le détachement qui débute par une visite au centre de Cartographie d’Israël, rue Lincoln, une rue que je n’ai pas encore marquée sur la carte des promenades. La spécialiste des cartes, le nom de cette profession, s’il y en a un, m’échappe. Je dirais donc que la cartomancienne explique que la carte dépend autant de la réalité sur le terrain que de l’agenda du commanditaire de la carte. Je me dis qu’avec mes promenades, je ne trace pas seulement mon parcours sur la carte mais je créée ma propre carte. J’aimerais pouvoir creuser un sillon dans les rues que je prends régulièrement : Ben-Yehouda se transformerait en fossé profond et j’atteindrais la nappe phréatique en parcourant Dizengoff. Sur HaYarkon, je nagerai dans l’aquifère. D’ailleurs, dans la rue, d’énormes trous sont la promesse de futures tours. Je remarque pour la première fois que trou et tour sont des anagrammes.

La tour de l’Opéra est une doyenne. Elle a été construite en 1988. Pour cela, on a détruit un bâtiment qui était le pendant exact de celui qui se trouve en face avec une colonnade à arcs pointus. Sa conception est censée être une interprétation de l’architecture de départ. Le bâtiment abritait, depuis 1958, l’Opéra dont elle a gardé le nom. De mars à décembre 1949,  la Knesset y tenait ses séances avant sa montée à Jérusalem, tout d’abord dans la rue King George, puis à son emplacement actuel. Et si l’on creuse encore plus loin, c’était le cinéma Kessem. Incroyable, le nombre de cinémas qu’il y avait à Tel Aviv.

En face de la tour rose en escaliers, la maison de Menahem Ussishkin au numéro 52. Il a dirigé le Fonds national juif de 1923 à sa mort en 1941. La maison a été conçue par Alexandre Levi, l’architecte au destin tragique à l’origine de la Maison de la Pagode. Style éclectique par excellence, avec arches, corniches et moulures. Dans les années 1930, Josef Minor, l’architecte de la Maison Bialik est chargé d’ajouter un étage. Je me réjouis, j’ai l’impression de rencontrer de vieilles connaissances !

Je dépasse la tour de l’Isrotel, longtemps l’hôtel le plus haut du Moyen-Orient avec au dernier étage une piscine qui surplombe la ville. Toute jeune, Anaël  l’a surnommé l’Hérisson. Plus loin, l’Ambassade américaine, un blockhaus brutaliste. J’ose à peine photographier.

Le Gan London, construit en terrasses à cause du dénivellement, dédié à la ville de Londres et au courage de ses habitants face aux bombardements allemands pendant le Blitz a été inauguré en 1942. Rénové en 2000. Il abrite le Mémorial pour les héros de l’Alyah Beth, de l’Ha’apala, de l’immigration clandestine des Juifs en Palestine malgré les interdits du Mandat britannique. Les concepteurs ont filé la métaphore maritime. Six stèles en forme de vagues détaillent le nom des bateaux avec leur lieu d’accostage, le nombre d’immigrants, ceux qui sont arrivés à bon port et ceux qui se sont noyés en route. Ceux qui ont essayé de fuir les Nazis. Les rescapés qui ont voulu entre 1945 et 1948 quitter une Europe maudite. Je me souviens qu’Ike Aharonovicz,  capitaine de l’Exodus à l’âge de 23 ans,  s’était construit une maison en forme de bateau sur un promontoire surplombant la mer à Zichron Yaakov. Sur deux murets qui figurent la proue d’un bateau, une série de photographies et l’explication des différentes vagues d’immigration. Je m’arrête devant la photo d’un bébé endormi, le pouce dans la bouche, dans une corbeille, un vrai Moïse sauvé des eaux. Mes enfants aussi dormaient dans des couffins en osier que ma tante Simone avait tapissé d’un tissu arc-en-ciel. Dans le jardin avec une très belle vue sur mer,  il y a même une petite aire de jeux pour les enfants, elle-aussi sous forme de bateau avec cordages.

Tout à côté du jardin, l’Hôtel Dan et en face un beau bâtiment de style international, HaYarkon 96, construit en 1935 Il vient d’être rénové et on lui a ajouté quelques étages de verre comme une couronne noire qui tranche sur la blancheur du bâtiment originel. On a fêté le septième anniversaire de Sarah chez des amis qui habitaient là dans un appartement très accueillant.

Je dépasse la Bank HaPoalim au numéro 104 et sa façade en résilles.  HaYarkon 108, la maison au coin de Frishman, désespérément abandonnée. Malgré tout,on peut encore imaginer sa splendreur passée et déchiffrer sous la toiture gravé dans la pierre le nom de Rachel Fridman.

Plus loin, le numéro 110 a abrité pendant des décennies la maison du Parti Travailliste. Coquille désormais vide qui attend des temps meilleurs.

Voici l’Hôtel Sheraton et pour la première fois je me retrouve dans le petit ilot entre la rue HaYarkon et la rue Herbert Samuel, juste avant la rue Gordon. Un jardinet coquet malgré sa proximité avec les voitures. Je m’assois sur un banc et admire le coucher du soleil.

opéra

La tour de l’Opéra

 

isrotel

La tour de l’hôtel Isrotel

 

bateau

Le Gan London et le Mémorial de l’Alyah Beth

Moïse sauvé des eaux

96 HaYarkon

HaYarkon 96

 

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Tel Aviv, En marchant, en écrivant: Marche n°27

Distance parcourue : 1. 500 kilomètre

Date :  10 octbre 2014, Hol Hamoed Souccoth

Pour lire toutes les marches du projet Tel Aviv, en marchant, en écrivant

     
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