La rue George Eliot à Tel Aviv

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La rue Yosef Nassi

Ma marche, pas vraiment une marche plutôt le parcours de deux rues en T, – vous pouvez la faire en même temps que la rue Sheinkin -, débute au coin de la rue Balfour et de la rue Don Yosef Nassi (1524-1579). Il est regrettable que la tante de Don Yosef Nassi, Dona Gracia, n’ait pas de rue à son nom à Tel Aviv. Elle est aussi connue sous le nom de Beatriz de Luna, identité qu’elle empruntait quand elle devait cacher son judaïsme et elle est passée à la postérité sous le nom de La Senora. Sa vie est un roman, une suite d’aventures invraisemblables, un destin hors-du-commun : issue d’une famille marrane du Portugal, banquière, en but à l’Inquisition, en cavale d’Anvers à Lyon, à Ferrare et à Venise pour finalement être protégée par le sultan Soliman le Magnifique et prospérer dans l’Empire ottoman. Elle finira ses jours à Istanbul en n’ayant pu réaliser son rêve, vivre dans le pays d’Israël. Son neveu et gendre Don Yosef Nassi (1524-1579) deviendra lui Seigneur de Tibériade. Il rêve de transformer Tibériade, alors un petit village de pêcheurs en centre artisanal où les Juifs d’Italie viendraient s’installer.  Il plante des mûriers pour la soie, des cannes à sucre, des palmiers-dattiers. Son projet n’aboutira pas. Pas de mûriers dans la rue Yossef Nassi à Tel Aviv mais au n°8, un ficus impressionnant, avec ses nombreuse racines aériennes et ses troncs secondaires, on se croirait presque dans la jungle. Dans le jardin, une BSA, une moto de collection en très mauvais état, me rappelle la BMW de notre jeunesse. Au coin de la rue George Eliot, au n°4, une maison jaune et blanche conçue dans les années 1933-1934 par Pinhas Bisonsky qui est aussi l’architecte de la maison au n°96 de la rue HaYarkon ou du bâtiment qui abrite aujourd’hui le musée Rubin, rue Bialik. Au n°1, une maison bordeaux et blanche.

La rue George Eliot

Je prends donc la rue George Eliot, une rue agréable où beaucoup de bâtiments sont en rénovation. J’aime surtout le nom qu’elle porte : George Eliot ! Il y a si peu de rues qui portent des noms de femmes à Tel Aviv, pas seulement à Tel Aviv d’ailleurs. Ici, c’est un peu particulier parce que Mary Anne Evans (1819-1880) voulant que ses écrits soient pris au sérieux ou désirant se cacher et préserver sa vie fort dissolue pour l’époque, prit un prénom masculin. Est-ce un hasard si deux femmes, chacune d’un côté de la Manche, ait choisi de s’appeler George. L’une a-t-elle influencée l’autre ? Dans ce cas, ce serait George Sand qui adopte ce nom et une tenue masculine dès 1829 alors que Mary Ann n’a que 10 ans. Mais l’amant de Mary Anne s’appelait George Henry Lewes. Et pourquoi Eliot ?

Virginia Woolf les juge sévèrement dans Une chambre à soi, mais avaient-elles le choix ?

C’est un reliquat du sens de la chasteté qui incita jusqu’au XIXème siècle les femmes à garder l’anonymat. Currer Bell (Charlotte Brontë), George Eliot, George Sand, toutes, victimes du conflit intérieur comme en témoignent leurs écrits, cherchèrent en vain à se voiler en se servant d’un nom d’homme. Elles rendaient ainsi hommage à cette convention qui, si elle n’a pas été créée par l’autre sexe, a du moins été si fortement encouragée par lui (la plus grande gloire pour une femme est qu’on ne parle pas d’elle, disait Périclés qui était, lui, un des hommes dont on parla le plus), que toute publicité les concernant est détestable. L’anonymat court dans leurs veines. Le désir d’être voilées les possède encore.

Mais pourquoi donc cette George a-t-elle droit à une rue à Tel Aviv ? Comme la rue adjacente, la rue Don Yossef Nassi, George Eliot est une sioniste avant l’heure. Dans son dernier roman Daniel Deronda paru en 1876, le personnage principal est un homme, élevé par un aristocrate anglais, qui va découvrir son origine juive et embrasser le destin de son peuple. C’est la première fois que dans un roman anglais les Juifs sont présentés de manière si empathique. Le héros Daniel Deronda tient des propos que l’on pourrait qualifier de sioniste et revendique le retour de son peuple sur la terre de ses ancêtres.

Le roman de George Eliot a été traduit en hébreu par David Frishman, qui a droit à une belle rue de Tel Aviv et même à une plage, très fréquentée par les touristes français.

Il y a de très beaux bâtiments Bauhaus dans la rue George Eliot, des verrières géométriques à la Mondrian, leur forme pas leurs couleurs qu’il faut aller dénicher entre deux ficus. Au n°5, derrière un cactus vénérable se cache un panneau indiquant que Hanoch Levin a habité dans cette maison : Hanoch Levin, l’homme de théâtre israélien, entre grotesque et tragique, au désespoir grinçant et à la démesure grand guignolesque. Dans une interview, il dit que son but est de boxer son public et c’est ce qu’il fait, une sorte de prophète d’Israël qui n’hésite pas à malmener son peuple. Il a aussi écrit des chansons notamment après la guerre des Six jours,  ‘Toi et moi et la prochaine guerre » ou London. C’est assez symbolique que sa plaque commémorative se cache derrière un sabra.

J’ai retrouvé sur le net une mini-série anglaise faite à partir du roman Daniel Deronda. Pas désagréable à regarder. Il y a le même acteur que dans la série Downtown Abbey que j’ai beaucoup aimée. Et me revoilà dans la rue du Lord Melchet.  A Tel Aviv, on ne peut échapper à la British Connection !

©Rachel Samoul

 

 

Ficus, rue Don Yossef Nassi à Tel Aviv

 

Rue Don Yossef Nassi au coin de la rue George Eliot

 

Plaque commémorative en l’honneur de Hanoch Levin

 

Bauhaus, rue George Eliot

Lire la marche précédente :

Tel Aviv, En marchant, en écrivant : Marche n°52

Date :   24 mars 2018, 9 Nissan 5778

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