Une place pour Patrick Modiano

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Modiano nobel

 

J’ai été vraiment ravie d’apprendre que c’était Patrick Modiano qui avait reçu le prix Nobel de littérature.  Impossible d’oublier son livre « La Place de l’Etoile » que j’ai lu très jeune : « Au mois de juin 1942, un officier allemand s’avance vers un jeune homme et lui dit : Pardon, monsieur, où se trouve la place de l’Étoile ? Le jeune homme désigne le côté gauche de sa poitrine. »  

 Esther Orner me permet de publier un extrait de son tapuscrit La lectrice de soi  – Février 2005 qui concerne un Pedigree de Patrick Modiano paru aux Editions Gallimard.

modiano

Ce livre franchement autobiographique dans lequel Modiano relate son “pedigree” ne nous apprend pas grand chose que nous ne savions sur lui et sa famille. Nous savions que son père était juif. Un Juif pas très clair. Petit ou grand trafiquant pendant la guerre. Au moins il est arrivé à sauver sa peau. Ce qui n’est pas rien. Mais à quel prix ? Sa mère est chrétienne et flamande. Par contre je ne savais pas qu’il avait pratiquement fait toute sa scolarité dans des institutions catholiques. Ni qu’il avait perdu un frère dont il dira que ce fut un des rares événements marquant de son enfance tant il se sentait désincarné entre cette mère comédienne de second plan toute à sa petite carrière et un père superficiel.  “A part mon frère Rudy, sa mort,  je crois que rien de tout ce que je rapporterai ici ne me concerne en profondeur. J’écris ces pages comme on rédige un constat ou un curriculum vitae, à titre documentaire et sans doute pour en finir avec une vie qui n’était pas mienne.” Page 44

Ce livre est plutôt un livre sur la souffrance de l’enfance et de l’adolescence provoquée une fois de plus par l’inconsistance des adultes.

Très tôt Modiano sait qu’il veut être écrivain. Dès son premier livre il est reconnu.  Il n’a que 23 ans. Je suis en train de relire  La place de l’Etoile. Je suis époustouflée par sa maîtrise, son humour et surtout par son audace si l’on pense que le livre est sorti en 1968. Si déjà on écrivait sur cette période noire c’était du témoignage.

D’emblée il annonce  la couleur dans son Pedigree :

Que l’on me pardonne tous ces noms et d’autres qui suivront. Je suis un chien qui fait semblant d’avoir un pedigree. Ma mère et mon père ne se rattachent à aucun milieu bien défini. Si ballottés, si incertains que je dois bien m’efforcer de trouver quelques empreintes et quelques balises dans ce sable mouvant comme on s’efforce de remplir avec des lettres à moitié effacées une fiche d’état civil  ou un questionnaire administratif. Page 13

Modiano ne recherche pas qu’une identité qui lui serait propre mais une place dans le monde. Je ne peux m’empêcher de penser à un des membres de ma famille qui à l’âge de cinq ans monte avec sa mère dans un transport en commun bondé et s’écrie – comment il n’y a pas une place pour moi !

Écrivains, artistes ou pas, qui ne cherche une petite place, un peu de reconnaissance ? Ne serait-ce que pour justifier le fameux quart d’heure de gloire si cher à Andy Wahrol

 La place de l’Etoile qui se situe pendant l’Occupation semble tourner autour de la transgression. Né en 1945, Modiano a subi et capté cette époque trouble. Il en fera la matière de ses livres. Certains passages ou événements sont repris dans Pedigree.

Ses parents se sont rencontrés alors :

A mesure que je dresse cette nomenclature et que je fais l’appel dans une caserne vide. (..) Drôles de gens. Drôle d’époque entre chien et loup. Et mes parents se rencontrent à cette époque-là, parmi ces gens qui leur ressemblent. Deux papillons égarés et inconscients au milieu d’une ville sans regard  Die Stadt ohne Blick. Mais je n’y peux rien, c’est le terreau – ou le fumier d’où je suis né.

Ce qu’il sait, que des bribes, Modiano le tient de sa mère qui ne savait presque rien. Son père a emporté ses secrets avec lui. Page 20

Modiano a treize ans quand son père l’emmène voir  Le procès de Nuremberg.  C’est un peu tôt ! Je découvre à treize ans  les camps d’extermination. Quelque chose a changé, pour moi, ce jour là. Et mon père qu’en pensait-il  ? Nous n’en avons jamais parlé ensemble, même à la sortie du cinéma.”Page 57

Dans mon enfance j’ai du voir ou alors avoir entendu parler d’un film hongrois où il était question des camps. J’en parle à ma mère qui me répond violemment – de toute manière tout ce que l’on montre ce n’est même pas la partie immergée de l’iceberg. Et bien plus tard à chaque fois que j’essaierai de parler d’un livre ou d’un film je recevrai la même réponse ou pis il font de l’argent sur nos pauvres malheurs.  Et dans Pedigree le père qui n’a vécu que l’Occupation ( je sais ce “n’a que” est mal venu) laisse son enfant sans explication – on se serait attendu à un commentaire du père ne fut-ce que pour rassurer l’enfant au seuil de l’adolescence. Un père qui parfois essaie de tenir son rôle en lui donnant des conseils pour ses études et une mère jamais bienveillante à son égard. Et à ce sujet il cite  Léon Bloy : L’homme a des endroits de son pauvre cœur qui n’existent pas encore et où la douleur entre afin qu’ils soient. Et il commente : Mais là, c’était une douleur pour rien, de celles dont on ne peut même pas faire un poème. Page 88

Effectivement La souffrance est inutile  a écrit un jeune poète Dominique Tron qui a tout abandonné et a fini danseur en Extrême-Orient. A partir d’un certain seuil on ne peut rien tirer de la souffrance bien qu’elle nous travaille de l’intérieur.

©Esther Orner

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     
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