Histoire d’une vie d’Aharon Appelfeld

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En hommage au grand écrivain israélien Aharon Appelfeld (16 février 1932 – 4 janvier 2008), Esther Orner nous livre ici un texte inédit faisant partie de son tapuscrit « La lectrice de Soi ».

Sipour Haïm, סיפור חיים, (Keter, 1999)

« Histoire d’une vie » a été traduit en français par Valérie Zenatti (L’Olivier, 2004) et a reçu cette année là le Prix Médicis Etranger.

Histoire d’une vie, Sipour Haim, je l’ai lu en hébreu.  J’ai eu du mal à entrer dans ce livre qui débute sur l’enfance  d’Appelfeld. Son enfance heureuse “avant”  puis  “après” chahutée, sans ses parents. Je ne trouvais pas en moi la force nécessaire pour me plonger dans ces histoires qui n’en sont pas, pourtant j’avais décidé qu’il fallait que je m’attaque à ce livre publié en 1999 en Israël et dernièrement en France.

Je n’y arrivais pas alors j’ai lu à la Barthes. Dans le désordre. Et très vite j’ai compris que chaque chapitre pouvait se lire indépendamment des autres, même s’il y avait un récit continu. J’ai commencé par le chapitre 24 jusqu’à la fin. Puis le 23, ensuite du 18 au 22. Et ainsi j’ai pu pénétrer dans l’univers d’Appelfeld. Et il m’a donné la force de reprendre à partir du premier chapitre. Là, je suis arrivée au neuvième. Il me reste encore huit chapitres pour arriver au dix-septième. L’expérience est concluante !

Appelfeld n’est jamais aussi bon que lorsqu’il parle d’autres écrivains d’Ouri Tsvi Grinberg et surtout d’Agnon qui tous deux réagissent positivement à son premier livre Fumée.

Appelfeld a eu du mal à se faire publier, puis à se faire accepter. Non seulement ses thèmes étaient difficiles et très différents de ce qui se publiait alors, mais l’hébreu n’était pas sa langue maternelle.  Il  n’a pas seulement écrit en “langue étrangère” comme chaque écrivain qui se crée sa propre langue, dixit Proust, il a été obligé d’apprendre l’hébreu et assez tard.

Agnon l’apprécie et l’encourage.  Appelfeld a rencontré, dit-il, “un Agnon désagnonisé.” Un Agnon sans ironie aucune, posant des questions sur sa vie comme si c’était la première fois qu’il le rencontrait pour lui dire qu’il avait matière à trois livres. Sinon plus.

Comme pour Appelfed, Agnon est ce que j’ai lu de plus grand dans la littérature hébraïque. Appelfeld me donne envie de relire  Au coeur de l’océan, Tehila,  Les jours redoutables.

Et dire que cela prit plus de vingt ans pour qu’Agnon reçoive le prix Nobel qu’il partagea avec Nelly Sachs. Il faut dire qu’il est vraiment intraduisible. On y perd quatre vingt pour cent. Aujourd’hui il faudrait même le traduire de l’hébreu…en hébreu.

Je me demandais s’il parlerait de l’écrivain yiddish Leib Rochman. Il en parle ainsi que de Dov Sedan. “J’avais besoin comme il s’avéra d’une autre relation à l’hébreu, quelque chose de moins mécanique, de plus intérieur. Comme pour dans d’autres domaines, des gens m’aidèrent, qui sait si sans eux je serais sorti de cette prison dans laquelle j’étais.” page 104

Dov Sedan, directeur de la faculté d’études yiddish de l’Université hébraïque de Jérusalem et plus tard Leib Rochman l’aidèrent, ils étaient aussi à l’aise en hébreu que dans leur langue maternelle. Tous les deux lui ouvrirent des mondes.

Je me demande si Dov Sedan fut mon professeur ou alors on me l’avait fait lire encore à Kefar Batia. Quant à Leib Rochman, je suis allée chez lui plusieurs fois avec des amis communs. Leib Rochman, l’écrivain yiddish, trônait devant une table où le vendredi soir, Shabbat, on se pressait pour l’écouter. Parmi les auditeurs il y avait aussi Aharon Appelfeld qui était déjà connu sinon par tout le monde par ceux qui comptaient en littérature.

Appelfeld parle aussi de Hugo Bergman, condisciple de Kafka chez lequel quand je me préparais à l’enseignement j’ai suivi des cours sur le Midrach (interprétation des textes bibliques). J’ai dû en parler ailleurs.

Réveillée à cinq heures du matin, j’ai eu la mauvaise idée de continuer ma lecture à partir du chapitre neuf. J’espérais me rendormir quand je suis tombée sur l’horreur. Peut-on nommer ça l’enfer qui lui n’est pas sur terre. Comment nommer l’innommable. Comment nommer ceux qui jetaient de petits enfants dans un enclos de chiens-loups affamés ? L’enclos, Mikhelaa  dont la racine du mot suggère prison, emprisonnement. Enclos mot poétique. Une prison, un endroit où le prisonnier s’il est privé de liberté, des lois le protègent de l’arbitraire, mais là de quoi s’agit-il ? Du mal absolu? Certes, mais encore ? Même Dante avec son imagination ne pouvait se l’imaginer. Depuis que j’ai lu cet onzième chapitre je me sens souillée. Les détenus de ce camp qui ont essayé et sauvé quelques enfants le tenaient secret. Ils  savaient que personne ne les croiraient. L’un deux a osé raconter.  Il fallait oser raconter. L’écrire. Puis le lire.

(…)

Aharon Appelfeld décrit les souffrances pendant, mais aussi après sur les routes et dans les camps pour personnes déplacées  (à moins que ce soit réfugiées ? ) en Italie qui attendent des visas, qui pour la Palestine qui pour les U.S.A. Après tout ce qu’ils avaient souffert les voilà entre les mains de délinquants, de voleurs d’enfants comme si la souffrance n’avait pas de  limite. 

Je viens de terminer la lecture dans le désordre – je suis arrivée au chapitre 18. Je sais que je n’aurai pas la force  de relire dans l’ordre comme je l’avais prévu. Juste les pages becquetées.

Aharon Appelfeld rend hommage à ceux qui ont su garder leur humanité et qui souvent se sont surpassés. Il n’a aucune complaisance et à juste titre pour les salauds de son peuple.

*Chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même – Proust. (R.T.P III, page 911, Pléiade)

Esther Orner

 

 

 

     
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