La dernière interview, Eshkol Nevo lu par Agnès Bensimon

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Nous retrouvons avec plaisir Agnès Bensimon pour une note de lecture sur :

La Dernière Interview d’Eshkol Nevo – Gallimard – traduction Jean-Luc Allouche

Un roman magistral articulé autour de l’interview-fleuve d’un écrivain à la dérive qui tente, par ce subterfuge, de se retrouver.

Quel écrivain, au sommet de son art, accepterait de répondre aux innombrables questions d’internautes anonymes ? Un écrivain en panne tant dans sa trajectoire littéraire que dans sa vie privée. Un homme à la lisière de la cinquantaine, souffrant non pas de dépression mais de dysthimie. Le protagoniste de La dernière interview tient à cette distinction entre les deux pathologies : « le dépressif a déjà renoncé à l’espoir de ressentir et il est plongé profondément dans l’obscurité du renoncement. Le dysthimique, en revanche, quête désespérément, y compris dans ses rêves, la délivrance. »

Sa délivrance, il la peaufine au fil des 102 (!) questions que le webmestre – tout aussi anonyme, lui soumet. A l’évidence Eshkol Nevo les tire de sa longue expérience et les renvoie malicieusement à ses lecteurs : « Vous avez toujours voulu être écrivain ? », « Dans quelle mesure vos livres sont-ils autobiographiques ? », « Quel rôle selon vous, les Juifs de la diaspora doivent-ils jouer à l’égard d’Israël ? », « Etes-vous favorable à l’accord de paix « deux états pour deux peuples » ? ».

Ecrit à la première personne, le récit s’apparente à une confession : « Toute cette interview – pour être sincère, n’est que la tentative d’affronter la panne d’écriture d’un autre texte. » Mais à quel moment est-il vraiment sincère ? Quelle est la part de vérité et de mensonge dans les réponses qu’il donne puisqu’il met continuellement en scène sa propre vie ? Au point d’exaspérer ses proches. De guerre lasse, sa femme s’éloigne de lui, sa fille adolescente l’a banni pour trahison. Même au chevet de son meilleur ami mourant, il est incapable de s’empêcher de lui raconter des histoires « avec un début, un milieu et une fin », au lieu de bavarder simplement.

Eshkol Nevo dépeint un écrivain pris à son propre piège : « Il n’y a rien de plus humiliant que le fait qu’on ne vous croit pas. Même quand on ne dit pas la vérité ».

Pourtant, il en prend progressivement conscience de même qu’il mesure l’étendue de ce qu’il a gâché, au fur et à mesure que l’écriture le pousse dans ses derniers retranchements. Au point de se demander s’il a toujours en lui le désir et la nécessité d’écrire ou au contraire de s’ancrer dans la vraie vie.

La dernière interview est un roman remarquablement construit, tout en finesse et humour délicat, porteur d’une belle réflexion sur l’écriture non sans un hommage tendre aux écrivains israéliens, passés ou contemporains.

©Agnès Bensimons

 

 

 

     
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