Pierre Benoit, Le puits de Jacob, une description de la Palestine en 1925

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J’ai aussi récupéré chez Mimi, « Le puits de Jacob » de Pierre Benoit écrit en 1925 où l’héroïne qui se prénomme Agar Moses va se retrouver en Palestine, son destin oscillant entre grandeur et bas-fonds.

Pierre Benoit ( est un auteur très populaire dans la première moitié du XXe siècle. Il fut membre de l’Académie française. Ses romans d’aventure respirent l’exotisme. On dirait aujourd’hui qu’il est un auteur de best-sellers. Suite à un voyage en 1923 en Turquie, en Syrie et en Palestine en tant qu’envoyé spécial d’un journal, il écrit « Le Puits de Jacob »

A noter le Puits de Jacob fut adapté au cinéma et réalisé par Edward Jose (1865-1930) en 1925 sous le titre « A daughter of Israel »

Il revient à Agar en poussant un soupir de soulagement.
« Vous vous donnez bien du mal, dit-elle.
Je voudrais avoir à m’en donner beaucoup plus encore, fit-il. Songez que nous sommes, au bas mot, vingt millions de juifs dans le monde, et que, sur ces vingt millions, trente mille à peine ont pris jusqu’à présent le chemin de la Palestine. Mais nous ne faisons que débuter, n’est-ce pas ? Le ruisseau va devenir rivière, puis fleuve majestueux qui emportera tout. Soyez tranquille, vous verrez. (…)

En peu de temps, ils eurent rejoint et dépassé l’auto-camion. Les immigrants, genoux contre genoux, les regardèrent sans les reconnaître. Agar entrevit de nouveau ces faces pleines de fatigue et de résignation morne; « Les pauvres gens, n’est-ce pas? dit Cochbas qui avait surrRis son regard. Mais dans un mois, vous les reverriez que vous ne les reconnaîtriez plus. Ils viennent de la misère renfermée des grandes ville et ils retournent à le vie libre, ventilée, à la vie ancestrale.
Ne sentez-vous pas comme dans ce pays, vos poumons se dilatent mieux qu’ailleurs? »
Elle était, il est vrai, un émerveillement, cette tiède matinée de mars. les cimes du Carmel, couvertes à foison d’herbes éphémères, découpaient au sud l’azur cru du ciel. A l’ouest s’étendaient à perte de vue des prairies marécageuses et verdâtres, bornées par le cercle bleu de la mer et des montagnes de Syrie. (…)

« N’est-ce pas que l’air est ici plus léger, plus tonique que partout ailleurs ? Vous savez qu’il n’ait pas de climat plus sain que celui de la Palestine. »
La Palestine. Elle resta frappée de ce mot comme si elle entendait pour la première fois depuis qu’elle était à Caïffa, comme s’il n’était pas inscrit sur son passeport. C’était vrai, pourtant, elle était à l’heure actuelle en Palestine ! Comment n’avait-elle pas , jusqu’à cette minute pensé à cela! Beaux mondes de souvenirs, parmi lesquels  petite fille, elle avait trouvé le baume unique de ses détresses, vous lui revîntes à cette minute en foule. Elle allait donc les voir, les fontaines à l’eau desquelles venaient puiser la cohorte des femmes mystérieuses, ses aieules Agar et Rebecca, Noémi, Ruth et Séphora.
Un pneu s’étant dégonflé, ils descendirent de l’automobile, Agar se déganta, pris au talus une poignée de terre, qu’elle laissa pensivement couler dans sa main.
Dans une sorte d’extase, Isaac Cochbas la regardait faire.
« A quoi songez-vous ? » murmura-t-il.
Elle n’eut pas besoin de lui répondre pour qu’il comprit qu’elle songeait aux pauvres juifs dispersés par le monde, au sachet empli de cette terre qu’on met dans le cercueil des plus favorisés, afin qu’à Paris comme à Moscou, à Prague comme à New York, leur tête, jusqu’au jour du grand réveil, puisse reposer sur le sol sacré.

Pierre Benoit, Le Puits de Jacob, Livre de Poche, 1961, p.57

     
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