En marchant, en écrivant, en tricotant

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Je décide d’aller au travail en prenant une rue à droite, une rue à gauche, une rue à droite entre la rue HaCovshim et la rue HaYarkon. D’abord ma rue, la rue Ezra Hasofer, Ezra le Scribe, puis le Yarkon. Quel plaisir de sortir de la maison et après quelques pas, de voir la mer au bout de la rue. Je tourne dans la rue Zorobabel, qui ramena les exilés de Babylone en Judée au VIe siècle et qui construisit le Second Temple de Jérusalem en 516 avant notre ère. J’aime beaucoup la sonorité de ce nom : Zorobabel, Le Zorro de Babylone, non le zerah de Babel, semence de Babylonie, pour désigner en hébreu quelqu’un né en exil.

J’essaie d’apprendre les noms des rues parallèles à la mienne par coeur comme un mantra : Ezra Hasofer, Zorobabel, Aharonsohn, HaRav Kook, Geoula, Yonah HaNavi. Cela me rappelle le beau projet de l’artiste Marie Christine KatzLet’s Take a Walk : une fois par mois, elle fait une promenade à New York ; des personnes du monde entier se joignent à elle en suivant les instructions qu’elle donne en temps réel sur Twitter ;  elles marchent ensemble chacune de leur côté ; chaque participant filme sa marche et envoie les images prises à Marie-Christine Katz qui les réunit dans une installation vidéo. Peut-être a-t-elle eu une influence souterraine sur mon projet de promenade.

Dans la rue HaYarkon me trotte les paroles de la chanson Mélancolie du groupe Hachaverim shel Natacha, Les amis de Natacha : Le Yarkon coule et se jette dans la mer et les putes aussi et je me souviens en effet que longtemps le Sud de la rue HaYarkon était connu pour ses prostituées.

J’aime bien regarder l’espace entre les maisons. Souvent, j’y découvre un palmier en majesté. Dans la rue Zorobabel subsistent encore quelques maisons modestes à un étage.  Ezra HaSofer, Zorobabel, les rues sont un écho du cours d’histoire d’Anaël et fleurent bon la Babylonie et le premier retour à Sion au VIe et Ve siècle avant notre ère.

Les rues semblent clonées. Peu de différences : ici un vélo rose accroché à un arbre, dans la rue suivante, un vélo bleu. Allez je tourne de nouveau à gauche,  j’ai l’impression de tricoter la ville. Et d’ailleurs, dans ses performances,  l’artiste Marie-Christine Katz tricote littéralement la ville de New York.

Je quitte les sages babyloniens pour retrouver les rabbins sionistes, me voilà dans la rue Aharonsohn, qui fut l’un des grands rabbins de Tel Aviv dans les années 30. Puis HaRav Kook, le premier Grand Rabbin ashkénaze sous le Mandat britannique, il considérait le Sionisme et le retour des Juifs à Sion comme le signe avant-coureur de la Gueoula, de la rédemption. D’ailleurs, la rue Géoula est la rue parallèle suivante. Le lien entre l’Israël de la Bible et l’Israël du renouveau se tricotent aussi dans les noms des rues.  En marchant, en écrivant, en tricotant.

Un graffiti sur une maison condamnée près d’une boite aux lettres vert de gris : There is no fear in Love. Pas de peur en amour. A côté une phrase en hébreu : La lumière du soleil est très terne pour qui n’a pas le goût de vivre.

La poésie, c’est aussi une tâche de couleur sur un balcon, le rose bonbon ou l’orange acidulé d’un parasol, le surréalisme d’un vélo suspendu.  Ici, quelle chance, les deux se combinent : à un étage un vélo suspendu et au-dessus, un parasol rouge.

Sur Hacovshim, une belle maison au n°20 vient d’être rénovée.  Je tourne dans Gueoula. Une maison bleue au numéro 23. Le vélo dans Gueoula est blanc. Retour sur Hayarkon. Je passe devant  une synagogue juste au moment où le dernier des fidèles sort et ferme la synagogue à clé. Je tourne dans Yona Hanavi, deux vélos d’enfants embrassés l’un à l’autre.

Je me retrouve dans Allenby et prend tout de suite à gauche dans la rue Idelsohn, un tronçon de rue d’une laideur absolue. Je bifurque sur HaYarkon, on quitte l’histoire pour la géographie, HaYarkon étant le nom du fleuve aux allures de ruisseau qui se jette dans la Méditerrannée au Nord de Tel Aviv,  tourne dans Ness Ziona, qui porte le nom de l’un des premiers villages sionistes, une rue où s’égrènent les petits hôtels. Ben Yehouda puis Trumpeldor où le vélo est orange. HaYarkon, passage devant le bunker de l’ambassade américaine. Shalom Aleichem. Ben Yehouda, J’aurai aimé continuer à tricoter la ville, une rue à droite, une rue à gauche mais il est dix heures du matin et il fait déjà trop chaud. Je saute dans un minibus.

Vélo suspendu et parasol rouge

Vélo suspendu et parasol rouge

 

"There is no fear in love"

« There is no fear in love »

 

detoutestailles

Tel Aviv, hier, aujourd’hui et demain

un air de Babylone

Un air de Babylone à Tel Aviv

fermeture synagogue

On ferme la synagogue

 

Lire la marche précédente : La rue Ben Yehouda

Lire la marche suivante : Tour de Névé Tsédek

Tel Aviv, En marchant, en écrivant : Marche n°23

Distance parcourue : 1 kilomètre 700 mètres

Date : 8 juin 2014/ 8 Sivan 5774

Pour lire toutes les marches du projet Tel Aviv, en marchant, en écrivant

     
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