XIIIe siècle: les premières vagues d’immigrants, le renouveau du Yichouv

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Huitième épisode de notre feuilleton historique “Renaissance d’une nation: Les Juifs de Palestine, de l’Antiquité à l’apparition du mouvement sioniste.”  par Nathan Weinstock. 

Le tournant : les premières vagues d’immigrants, le renouveau du Yichouv

Des liens spirituels particulièrement étroits unissaient également les communautés du Maghreb à la Terre sainte. Ainsi voit-on Salomon ben Juda (m. 1051), originaire de Fès, accéder à l’éminente position de Gaon (Président) de l’Académie de Palestine, une école talmudique qui bénéficiait régulièrement des subsides des communautés nord-africaines. Et ce soutien s’accompagne d’une immigration continue de Juifs nord-africains vers la terre d’Israël. Selon Judah al-Harizi qui s’y rendit en 1218, après la reconquête de Jérusalem par Saladin la communauté était composée de savants originaires de France, de réfugiés de la communauté juive d’Ashkelon dirigés par un ‘prince’ yéménite et d’une congrégation substantielle de Juifs venus d’Afrique du nord en raison de l’accroissement des persécutions à la fin du XIIe siècle. Et des documents de la Genizah du Caire confirment effectivement la présence à Jérusalem à cette époque de Juifs originaires  d’Ashkelon, du Yémen et du Maghreb.

C’est toutefois au XIIIe siècle que l’on verra se dessiner en Terre d’Israël un renouveau tel que la communauté  juive n’en avait plus connu depuis des siècles et marqué par des vagues d’immigration nombreuses et répétées de Juifs de la Diaspora. Cette  renaissance s’explique à la fois par les persécutions subies en terre d’Exil et par les flambées messianiques qui embrasent les communautés juives. Persécutions qui sont venues réactualiser le lien constant qui rattachait les communautés de la Diaspora à la Terre sainte. En effet, à partir de la fin du XIe siècle, le statut des Juifs dans l’Europe chrétienne connaît une dégradation dramatique, suivie par une série de vagues  de mesures répressives  et d’expulsions frappant les communautés juives : Allemagne : émeute antijuive de Mayence de 1012, massacres qui ont émaillé la Croisade populaire en 1096 –  France: expulsion des Juifs de Limoges en 1010, tueries de Blois en 1171 et de Pontoise en 1179, brûlement du Talmud à Paris en 1242-1244,  saisie des biens juifs en 1268 – Angleterre : massacres de 1190, accusations de crimes rituels et de persécutions en 1255 – Espagne : arrivée au pouvoir des Almoravides dans al-Andalous qui entraîne l’expulsion des Juifs au XIIe siècle et au nord la disputation de Barcelone de 1263 qui annonce les persécutions futures à venir.

Signification des flambées messianiques qui embrasent les communautés juives au XIIIe siècle 

Dans le heurt formidable qui oppose l’islam à la chrétienté – choc qui, comme l’a relevé Renée Neher-Bernheim,  correspond dans la typologie juive à l’affrontement opposant Ismaël à Edom – les maîtres à penser croient voir l’aube de l’ère messianique : celle-là même qui permettra aux Juifs de se regrouper sur la Terre ancestrale. Or, jamais depuis l’Antiquité,  Eretz-Israël  n’avait connu pareil afflux d’immigrés. Flot qui apparaît  comme le couronnement de l’antique aspiration du retour au pays des ancêtres, inscrite dans la mémoire collective juive. Une nostalgie millénaire qui revêt subitement une acuité irrésistible en raison de la conviction de l’imminence de la Rédemption s’est emparée des communautés juives. Les Croisades ainsi que la lutte à mort opposant alors la chrétienté à l’islam sur le territoire de la Terre Promise ne paraissaient-elle pas la réalisation de l’oracle d’Ezéchiel sur la guerre de Gog et de Magog annonçant la Fin des Temps ?

Rien d’étonnant donc à ce que l’on ait assisté au sein des communautés juives à une recrudescence d’apparitions  de prétendants au titre de Messie: Ibn Arié à Lyon vers 1060-1070 ; un inconnu se prétendant le Messie à Cordoue vers 1117; Mar Moïse Deraï au Maroc en 1122 ; un autre Juif marocain à Fez en 1127;  un Messie, dont le nom demeure ignoré, au Yémen en 1172 ;  et au XIIe siècle encore, David Alroy, originaire du Kurdistan, qui prend la tête d’une révolte contre le Sultan à Bagdad. Exaltation populaire qui va de pair avec un véritable bouleversement des mentalités. Si auparavant on se contentait d’encourager les Juifs à se rendre en pèlerinage en Eretz-Israël, désormais d’éminents savants comme Na’hmanide expriment la volonté de les y voir reprendre racine.

Spécificité de ces vagues d’immigration   

Ce mouvement de retour à la terre ancestrale se singularise par deux caractéristiques qui le distingue des courants d’immigration antérieurs (exode des Juifs de Perse et de Mésopotamie vers la Terre Sainte aux Xe et XIe siècles, installation des Juifs andalous à la même époque) : d’une part, par son ampleur et, d’autre part, par la représentativité de ses dirigeants. C’est dire que le courant d’émigration vers la Terre Promise, jusque-là phénomène marginal, touche désormais le cœur même des centres de la Diaspora ainsi que ses dirigeants les plus prestigieux

Les premiers arrivants seront des Juifs originaires du Maghreb ayant transité par l’Egypte et qui contribueront notamment à la renaissance d’Ascalon (Ashkelon). Ensuite la relève viendra d’Occident. En 1211, ce sont 300 rabbins d’Angleterre et de France qui immigrent en Palestine. En 1259, Rabbi Ye’hiel (dit Sire Vives de Meaux), éminent rabbin parisien, vient s’établir à Acre. Son exemple sera  suivi  quelques années plus tard par des Juifs originaires de Mayence, de Worms, de Spire, d’Oppenheim  et de Wetterau qui émigrent vers la Palestine, enthousiasmés par les idées messianiques. Et il  y a tout lieu de supposer que cet exode s’est accompagné d’une substantielle composante populaire. Car elle ne devait pas évidemment pas se composer uniquement de rabbins, tels que Rabbi Jonathan ha-Cohen de Lunel et ses disciples provençaux et languedociens ou des frères Barou’h et Méïr de Clisson qui prirent la tête d’une foule d’immigrants normands et anglais. Les rejoindront ultérieurement Rabbi Samson de Sens et Rabbi Ye’hiel, déjà cité, qui envoie des émissaires parcourir les communautés pour soutenir la grande  « Yechivah de Paris » qu’il fonde à Acre. Ensuite, ce sera la confiscation des biens des Juifs ordonnée par l’empereur Rudolf de Habsbourg qui va déclencher en 1286 un exode clandestin des Juifs des principaux centres d’Allemagne sous la direction de Rabbi Méïr de Rothembourg de Worms. .

Autre immigré de marque : Na’hmanide qui débarque à Acre, se rend ensuite à Jérusalem en 1267 où il réorganise la vie communautaire et donne l’impulsion à l’édification de synagogues, avant de s’établir à Acre. C’est sous son influence que la doctrine ésotérique de la Cabale – dans laquelle s’est ancrée l’espérance messianique – prend racine dans le pays. Cette mystique fleurira tout particulièrement à Acre où la communauté, qui comprend également une composante espagnole et catalane,  se distingue par le vif intérêt qu’elle porte à la philosophie et à la poésie, tant religieuse que profane.

Nathan WEINSTOCK

Du « Vieux Yichouv » à la nation israélienne : un parcours bimillénaire 

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Pour en savoir plus, lisez le livre de Nathan Weinstock, “Renaissance d’une nation: Les Juifs de Palestine, de l’Antiquité à l’apparition du mouvement sioniste”

 Pour en savoir plus, lisez le livre de Nathan Weinstock, “Renaissance d’une nation: Les Juifs de Palestine, de l’Antiquité à l’apparition du mouvement sioniste”

Lire la première partie: Du vieux Yichouv à la nation israélienne, un parcours bimillénaire

Lire la deuxième partie: Les communautés de la Diaspora, un attachement indéfectible à la Terre d’Israël

Lire la troisième partie: Présence juive en Terre Sainte et tradition islamique

Lire la quatrième partie: La condition des Juifs de Terre Sainte après la conquête arabe

Lire la cinquième partie: La minorité juive sous les Fatimides, les Croisés puis les Mamelouks

Lire la sixième partie: Le Yichouv après la conquête ottomane

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