La minorité juive sous les Fatimides, les Croisés puis les Mamelouks

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Voici le cinquième épisode de notre feuilleton historique “Renaissance d’une nation: Les Juifs de Palestine, de l’Antiquité à l’apparition du mouvement sioniste.”  par Nathan Weinstock. 

Lire la première partie: Du vieux Yichouv à la nation israélienne, un parcours bimillénaire

Lire la deuxième partie: Les communautés de la Diaspora, un attachement indéfectible à la Terre d’Israël

Lire la troisième partie: Présence juive en Terre Sainte et tradition islamique

Lire la quatrième partie: La condition des Juifs de Terre Sainte après la conquête arabe

La Terre Sainte sous la domination des Fatimides   

Vers 990, sous le règne d’Abou Mansour Nizar, dit El-Aziz, de la dynastie chiite des Fatimides, la Palestine et une partie de la Syrie se trouvent être gouvernées conjointement pendant une très brève période par le Juif Manassé Ibn-Kazra et le Chrétien Isa qui favoriseront tous deux leurs coreligionnaires au détriment de la population musulmane sunnite locale.

Mais cet interlude fut suivi d’un déclin brutal de la situation du Yichouv en 990  lorsque le fils d’El-Aziz, le jeune el-Hakim bi-amr Allâh (« el-Hakim », 996-1021), dit « le Calife fou », accéda au trône d’Egypte. Ce déséquilibré fanatique d’une rare cruauté se singularisa par une série de persécutions effroyables frappant les chrétiens et les Juifs dont il ordonna la destruction de tous les lieux de culte. En outre, tous les Juifs durent porter une image de veau autour du cou ainsi qu’un bloc d’un poids de six livres et des clochettes afin que de pouvoir être identifiés à distance. A Jérusalem,  il fit raser l’Eglise du Saint-Sépulcre avant d’entreprendre d’en chasser tous les Juifs et les chrétiens, d’interdire les pèlerinages des deux cultes et de brûler les édifices religieux. Cette terreur religieuse entraîna de nombreuses conversions à l’islam et incita nombre de minoritaires à prendre le chemin de l’exil.

Les successeurs du « Calife fou » ne parvinrent pas à restaurer l’autorité des Fatimides et en 1071 les Turcs seldjoukides s’emparèrent de Jérusalem. Domination qui ne devait guère durer : déjà s’avançait l’armée des Croisés…

La minorité juive sous les Croisés 

La prise de Jérusalem  fut caractérisée, comme on le sait,  par d’atroces massacres qui frappèrent  tout particulièrement les Juifs – tant ceux d’obédience rabbanite (disciples des rabbins orthodoxes) que les membres de la dissidence caraïte -, qui combattirent les envahisseurs aux côtés des musulmans. D’après le témoignage d’Ibn al-Qalanissi: « Les Juifs furent rassemblés dans leur synagogue et les Franj les y brûlèrent vifs. Ils détruisirent aussi les monuments des saints et le tombeau d’Abraham – la paix soit sur lui ! ». Jérusalem fut à nouveau interdite aux Juifs et les survivants faits prisonniers vendus comme esclaves. La plupart des Juifs de Palestine semblent s’être réfugiés à Damas ou en Egypte. Mais si les communautés de Jaffa et de Ramleh, important centre caraïte, disparurent, la population juive de Galilée parvint toutefois à se maintenir.

En 1165 Benjamin de Tudèle visite la Palestine. Le pays ne compte plus qu’environ 1.100 familles au total. A Jérusalem, deux cent juifs sont parvenus à se maintenir sous la tour de David. On signale aussi l’existence de  communautés à Acre et à Ashkelon, un petit centre juif à Césarée ainsi qu’une série de congrégations rurales en Galilée ainsi qu’en Judée et Samarie. La   plupart des Juifs pratiquent l’artisanat (textile, teinturerie et verrerie dite « de Tyr »). Certains sont armateurs, marchands, colporteurs, droguistes ou médecins.

Quelques familles juives étaient parvenues à se maintenir à Jérusalem sous les Croisés en dépit de l’interdiction qui avait été formulée à cet égard. Et, comme nous le savons, en 1187, après la conquête de la ville, Saladin appela les Juifs du monde entier à venir s’y installer. Mais un nouveau retournement de situation intervint  au XIIIe siècle avec la reprise de la Ville Sainte par l’empereur Frédéric II. En vertu d’une dispense spéciale, les teinturiers juifs furent toutefois autorisés à y résider.

Sous la domination des Mamelouks 

En 1260 le pays passe sous le sceptre des Mamelouks (dynastie issue de la garde servile du sultan ayyoubide qu’ils ont renversé en 1250) qui s’y maintiendront jusqu’en 1517 lorsqu’ils seront succédés par les Ottomans. Mechoulam de Volterra, qui a visité la Terre Promise au cours de l’été 1481, nous a laissé une description des communautés juives. Elles ne comprennent plus qu’environ 390 familles, soit près de 2.000 âmes, concentrés pour l’essentiel à Jérusalem et, accessoirement, à Gaza et à Hébron. D’après les calculs de Bernard Lewis, la minorité juive ne dépassera pas le seuil de 10.000 habitants au milieu du XVIe siècle. Par ailleurs, le Yichouv bénéficie du soutien des communautés de la Diaspora, sillonnées inlassablement par les émissaires du judaïsme palestinien afin de récolter des fonds destinés à son soutien.

Deux ans plus tard, nous apprenons qu’en 1481, Gaza, qui se trouve exposée aux attaques des pirates, abrite environ 60 chefs de famille juifs. Ces derniers, qui habitent un quartier situé au sommet d’une colline, possèdent des champs et vignobles. De toute évidence la communauté prospère car en 1525 on y dénombre 95 foyers juifs, soit  40% de la population urbaine. Au cœur de la Samarie, Naplouse – l’antique Si’hem -, relais obligé pour les Juifs de Haute-Galilée qui font le pèlerinage à Jérusalem, a toujours abrité une petite communauté de gens pauvres ayant pour ressources principales l’huile d’olive, la teinture et le tissage de laine. La population juive s’y accroîtra après la conquête ottomane pour atteindre 71 familles  en 1538 mais diminuera toutefois  de moitié après le tremblement de terre de 1546.

Tout comme les membres de la minorité chrétienne, les Juifs du Yichouv  voient alors alterner les  périodes de calme avec celles des persécutions plus ou moins graves. Situation peu enviable en soi, mais infiniment préférable au sort de leurs coreligionnaires d’Europe occidentale : expulsion des Juifs d’Angleterre et de Gascogne par Edouard Ier en 1290, saisie des biens juifs par Philipe le Bel en France en 1306, qui se traduit là aussi par un exode massif,  persécutions en Allemagne,  premières mesures répressives visant les Juifs de Castille et d’Aragon ; massacres liées à la Peste Noire en 1348, expulsion des Juifs de France en 1394… Bref, autant de malheurs qui favorisent un courant d’émigration vers la Terre Sainte.

Du reste, il n’est pas aisé de se faire une idée précise de la condition juive sous les Mamelouks compte tenu des échos contrastés qui nous en sont parvenus.  Ainsi, selon le témoignage du Franciscain Francesco Suriano  (fin du XVe-début du XVIe siècle) relatif à la vie quotidienne des Juifs de Palestine : « Ces chiens, les juifs, sont piétinés, battus et tourmentés comme ils le méritent. Ils vivent dans ce pays dans une condition de soumission que les mots ne peuvent décrire. C’est une chose instructive de voir qu’à Jérusalem (…) Dieu les punit plus que nulle part ailleurs au monde. J’ai vu cela très longtemps. De même sont-ils opposés les uns aux autres et se haïssent-ils, tandis que les musulmans les traitent comme des chiens (…) Et s’ils ne recevaient pas de soutien des juifs du monde chrétien, ils périraient comme des chiens ». Une appréciation tranchée que semble toutefois contredire une lettre qu’Obadia de Bertinoro adresse à son père en 1488 : «de la part des Arabes, les Juifs n’ont nulle oppression à subir en ces lieux; j’ai parcouru le pays en longe et en large, sans avoir à me plaindre de personne. Ils sont très complaisants envers les étrangers, surtout envers ceux qui ne connaissent  pas la langue. Lorsqu’ils voient plusieurs Juifs réunis ensemble, ils n’en sont pas jaloux ».

 

Nathan WEINSTOCK

Du « Vieux Yichouv » à la nation israélienne : un parcours bimillénaire 

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Pour en savoir plus, lisez le livre de Nathan Weinstock, “Renaissance d’une nation: Les Juifs de Palestine, de l’Antiquité à l’apparition du mouvement sioniste”

     
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