Dorin Frankfurt : Mes vêtements parlent l’hébreu!

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Cette interview a d’abord été publiée en novembre 2010 dans Terre de cultures ISRAEL, un supplément gratuit aux quotidiens belges,  La Libre Belgique et la DH/Les Sports

Dorin Frankfurt : Mes vêtements parlent l’hébreu!

Dorin Frankfurt est une créatrice de mode. Elle est à la tête d’un petit empire textile, vingt-deux boutiques dans tout Israël. Elle a étudié le stylisme en France dans les années 1970, a ouvert une boutique à Londres mais à la naissance de ses jumelles, elle a décidé de se fixer en Israël. Grâce à son site Internet, elle se trouve aussi sur la scène internationale principalement aux Etats-Unis et dans les pays scandinaves. Elle a du style. Un visage comme un masque Kabuki, peau blanche et lèvres très rouges. Habillée de noir. Une lueur d’amusement et d’intelligence dans les yeux. Je la rencontre dans son atelier au sud de Tel Aviv, rue Shoken, non loin des quartiers généraux du journal Haaretz.

Comment définiriez-vous votre style ?

La décontraction élégante. Mes vêtements sont confortables, ils ne sont pas conçus pour des températures extrêmes. Ils sont très féminins, prennent en compte le corps et les formes des femmes. Ils ont un côté dramatique. Ils sont inspirés par les couleurs et la lumière d’Israël. Mes vêtements parlent l’hébreu !

Pourquoi sur les étiquettes de vos vêtements figure la phrase Designed and Manufactured in Tel Aviv, Conçu et réalisé à Tel Aviv?

Je considère mon métier comme de l’artisanat. Les nécessités du marché m’ont obligé à être compétitive et efficace. J’ai mis au point une structure légère, extrêmement réactive, très bien organisée et informatisée qui me permet de ne pas tourner avec un stock important. Je fais faire mes vêtements à Tel Aviv. Résister aux sirènes de la délocalisation, c’est la modernité même. Ne pas penser seulement profit. Le profit pour moi, c’est aussi faire travailler les gens qu’on connaît et qu’on aime. C’est pouvoir suivre de près tout le processus de fabrication, pouvoir intervenir à chaque étape.

C’est une décision sioniste?

Sioniste ? Je ne sais pas. C’est la volonté de prendre en compte son entourage. En tous cas, c’est ainsi que devrait se comporter Israël, s’inquiéter du sort et du bien-être toutes les personnes qui le composent. Des Arabes de Jaffa aux nouveaux immigrants. Mes couturières viennent de tous les horizons. J’aime que mon atelier reflète la diversité israélienne. Et ce sont les gens dont on s’entoure qui font la réussite d’une entreprise. Cette idée est d’ailleurs soulignée dans la vidéo du lancement de ma collection hiver 2010 où les mannequins font partie de mon entourage, mon assistante, ma fille, ma comptable. J’insiste Conçu à Tel Aviv et non pas en Israël. Parce que de fait, je vis à Tel Aviv et Israël, tant que les frontières ne sont pas définies, c’est où?

Vous vivez donc dans la Bulle de Tel Aviv ?

Cela m’énerve, ce surnom de bulle. Vous connaissez beaucoup d’habitants de Tel Aviv qui sont nés à Tel Aviv? On vient de tout le pays à Tel Aviv et de l’étranger aussi. Cette ville draine vers elle toutes les forces vives du pays. Quelle bulle ? Pendant la première guerre du Golfe, les missiles sont tombés sur la ville. Pendant l’Intifada, les autobus sautaient ici aussi et les gens circulaient la peur au ventre. D’ailleurs, pendant la seconde Guerre du Liban en 2006, les vendeuses de mes boutiques de Haïfa et du Nord du pays ont été hébergées par celles de Tel Aviv. Je leur disais d’aller profiter de la mer mais elles venaient chaque matin à l’atelier parce qu’elles voulaient travailler.

Tel Aviv vous inspire-t-elle ?

Je fais des vêtements adaptés au climat avec une inspiration locale. Les Arabes, les pionniers, le Tel Aviv des débuts, les premiers immigrants du Yémen. Je choisis des thèmes pour mes collections. L’année dernière, j’ai été inspiré par l’oeuvre d’Aviva Uri, une peintre israélienne. Cet hiver, j’ai construit la collection autour de Barouch Agadati, un danseur, peintre, cinéaste des années 20. C’était un artiste pluridisciplinaire, un précurseur. Pour moi, il représente le style de Tel Aviv par excellence.

Comment se porte la mode en Israël ?

Il y a en Israël des écoles de stylisme d’excellente qualité Shenkar, Betzalel, Wizo Haïfa et une pépinière de jeunes créateurs talentueux. Il y a dans ce pays beaucoup de forces créatrices. Dans le cinéma, la littérature, le High-tech, le design et la mode aussi.

Comment trouvez-vous que les Israéliennes s’habillent ?

Trop serré, trop brillant, trop décolleté, trop mais jamais ennuyeux.  Les femmes israéliennes ont un tempérament latin. Je préfère un mauvais goût chatoyant à du bon gout insipide.

Pourquoi ce logo Peace sur l’étiquette de vos créations ?

Je l’ai ajouté au moment de la seconde Intifada.  Alors, certains répétaient à l’envi : On n’a pas avec qui parler. Une phrase qui me fait peur. Moi je crois qu’on a avec qui parler. Pour chaque personne ici qui veut la paix, je suis sûre qu’en face, une personne la veut aussi. Vivre dans ce pays, c’est comme être à la fête foraine. Beaucoup de hauts et de bas, beaucoup de bonheur, beaucoup de tragédie. Le peuple d’Israël est beaucoup plus admirable que ses dirigeants. Le contraire de ce qui se passait dans les années 50 ou 60. Ben Gourion était un politique mais il était aussi ouvert au monde qui l’entourait, il parlait les langues, c’était un humaniste. Je n’attends pas d’eux que ce soit la peur qui les motive mais l’intelligence.

Quand il y aura la paix, j’ôterai le symbole Paix de mes étiquettes. On me traite de rêveuse, on me traite de belle âme. Depuis quand, le terme belle âme est-il une insulte? Pour moi c’est un compliment. J’aspire à être une belle âme dans de beaux vêtements !

Propos recueillis par Rachel Samoul


     
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