Pour l’amour de Sonia Shapira

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Cet article est paru dans L’arche, le magazine du judaïsme français de décembre 2009.

Pour l’amour de Sonia Shapira

Quand l’histoire de Tel Aviv se transforme en légende urbaine

A Tel Aviv, deux impasses, très connues, débouchent sur la rue King George. L’une porte le nom d’almonit et est ornée de deux obélisques en béton; au bout de l’autre, la plonit, la statue d’un lion rugissant. L’expression plonit almonit en hébreu signifie un quidam, tout un chacun, un anonyme, l’homme de la rue. Ces deux impasses ont une histoire que les habitants se plaisent à raconter.


Meïr Getzel Shapiro s’installe à Tel Aviv en 1922, à l’âge de 41 ans. Cet entrepreneur, né en Lituanie, immigre seul, à14 ans, en Amérique, à Detroit. Fortune faite, il fait venir sa famille, ses parents, ses neuf frères et sœurs, mais l’ambiance familiale tendue le décide à s’installer en Eretz Israel. A Tel Aviv, il continue sa carrière de bâtisseur, il achète des terres et construit des maisons. Il se marie avec Sonia Moselbuts, 23 ans plus jeune que lui avec qui il aura trois enfants.

Le quartier Shapira

Meïr arrive à Tel Aviv avec beaucoup d’argent. Il crée un quartier au sud de l’actuelle gare routière sur des terrains qui ne dépendaient à l’époque ni de Yaffo, ni de Tel Aviv, le quartier Shapira, plus exactement le quartier Myriam Naomi Shapira en l’honneur de sa fille. Le nom de la synagogue du quartier portera le nom de sa mère. Comme on le voit, Meir Gezl aime marquer son territoire! Sur une affiche publicitaire des années 20, l’entrepreneur Meir Getzl Shapira s’adresse à des acheteurs potentiels en ces termes: Achetez des parcelles dans le quartier Naomi Miriam Shapira et construisez le pays. Les meilleurs emplacements pour les usines, pas de taxes, pas d’entraves à la construction. Les lots n’appartiennent ni à Jaffa ni à Tel Aviv, les conditions sont très intéressantes et le versement initial est minime. Meir Dizengoff, le maire de Tel Aviv n’apprécie pas.

Meir Shapira estime que rien n’est trop beau pour sa femme Sonia. Il achète cinq dounams et en 1922, il lui construit une maison de deux étages, un palais au milieu de nulle part. Beau balcon, dallage de qualité, fenêtres avec vitraux, ferronnerie travaillée, palmier géant et eucalyptus.

La maison est un peu excentrée, Sonia a peur, qu’à cela ne tienne, Shapira demande au sculpteur Gordon qu’il construise un lion rugissant, protecteur de la maison. On raconte que la nuit, ses yeux lançaient des éclats rouges. Au fond de ses orbites, il y avaient deux douilles pour des ampoules électriques! C’était l’une des rares sculptures de la ville et les enfants venaient grimper sur le dos de la bête.

Kef Israel

Sonia ne veut pas marcher dans le sable et risquer de gâcher ses souliers pour se rendre au marché de la rue Carmel, plus à l’est. Pas de problème, Meir Getzl fait installer sur sa route des planches privées, comme à Deauville! On raconte qu’elle ira jusqu’à frapper avec sa jolie ombrelle fleurie, un homme qui avait osé emprunter son passage.

Pour les trajets plus longs, Sonia se déplace dans une voiture américaine de sept places. Sonia mène grand train, trois domestiques et une cuisinière. Naomi, leur fille, apprend le ballet et dans leur maison trône un piano. Seul le Haut-Commissaire britannique Herbert Samuel a le même dans sa résidence.

Malgré tout, Sonia n’est pas satisfaite, dans son quartier, les rues n’ont pas de nom. Shapira baptise alors l’une des impasses la rue Sonia Shapira et l’autre la rue Meïr Getzel Shapira. Au grand dam du maire Meir Dizengoff qui considère, à juste titre, que l’attribution du nom des rues est le privilège des municipalités non pas de tout un chacun. Il exige donc que les plaques soient immédiatement enlevées. Shapira refuse. La nuit, les employés municipaux ôtent les plaques, au petit matin ils découvrent de nouveau panneaux. Les deux hommes se rencontrent, la discussion s’envenime, Meir Dizengoff déclare que non seulement les ruelles ne porteront pas le nom de Sonia et de Meir Getzel Shapira mais seront plonit almonit, inconnu anonyme.

Légende urbaine ou véritable histoire ? Sur une carte de 1923, à l’emplacement des deux ruelles est indiqué Quartier Shapira. Dizengoff meurt en 1936 et il semble que les ruelles ne s’appelaient pas encore ni plonit ni almonit. Ce n’est donc pas un Dizengoff rancunier qui aurait refusé l’éternité à un Shapira amoureux.

Les histoires d’amour finissent mal, c’est bien connu. Non seulement, les ruelles ne porteront pas le nom Shapira mais bientôt Sonia aussi ne le portera plus. Malgré la maison, les planches, le lion et le piano, Sonia quitte son mari et se remarie avec un riche et vieux cousin d’Amérique. Meir se retrouve sans famille et bientôt sans argent. Il avait investi  dans des terres près de Latrun que la Légion jordanienne va occuper en 1948. Il essaiera le reste de ses jours d’être dédommagé mais en vain.  Il meurt, dans l’anonymat, en 1970.

Aujourd’hui, dans les deux impasses, encore très délabrées, règne une ambiance tout à la fois désuette et à la page: de sympathiques magasins, un café-librairie à ne pas rater et un café qui porte le nom de…Sonia.

Cafe Sonia Getzel Shapiro

©Rachel Samoul

     
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