Stupeur de Zeruya Shalev lu par Agnès Bensimon

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Nous retrouvons Agnès Bensimon pour une note de lecture sur le livre de Zeruya Shalev, Stupeur.

Zeruya Shalev, Stupeur,  Gallimard. Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz. 368 p.

Qu’est- ce qui empêche le cœur de rejoindre la source ?

Stupeur, le dernier roman de Zeruya Shalev est une oeuvre à la fois sombre et éblouissante, qui brasse 80 ans de l’histoire d’Israël à travers le récit intimiste de deux femmes de générations différentes, reliées par un douloureux secret. Zeruya Shalev tire de l’oubli l’histoire des Combattants de la Liberté (LEHI), incarnée par Rachel, la première épouse du père d’Atara, lequel, sur son lit de mort confie à sa fille son amour indéfectible pour celle qu’il a répudiée. Deux destinées de femmes qui recoupent celles du pays, deux personnages d’inspiration biblique en quête de réparation (Tikkoun) et sublimés par la plume incomparable de l’auteure.

Lorsqu’elle affronte la longue route qui la sépare de sa villa du Mont Carmel à Haïfa à la modeste demeure de Rachel aux portes du désert de Judée, à Maalé Adoumim, Atara est décidée à percer le secret du premier amour de son père. Sur son lit de mort, Mano s’est délesté du poids d’une immense souffrance en révélant son amour intact et unique pour Rachel. Atara, seul témoin de cette ultime déclaration, est persuadée que son existence est intimement liée à cette histoire enfouie.

Mais la rencontre tant espérée n’a pas lieu, Atara trouve porte close au sens propre comme au figuré. La vieille femme ferme son cœur à double tour aux fantômes du passé. A quoi bon, à 90 ans, raviver d’anciennes blessures ? Malgré ses réticences, elle est brusquement ramenée à sa jeunesse et à la jeunesse de son pays, Israël. Combattante dans la lutte armée clandestine contre les Anglais, aux côtés de Mano, elle interroge au soir de sa vie le sens de cet idéal et de ces sacrifices voués à l’oubli. C’est cela qu’elle veut raconter à Atara, laquelle refait le trajet malgré l’état de santé alarmant d’Alex, son mari. Nouveau rendez-vous manqué, cette fois à cause d’Atara. Pétrie de culpabilité, elle ressasse l’échec de sa relation amoureuse : Alex et elle n’ont pas réussi à être le couple qu’ils avaient imaginé, à former la famille dont ils avaient rêvé. Pour Rachel, comme pour Atara, l’idéal s’est perdu en chemin, confronté à la réalité dans sa durée. Leurs destinées tragiques, mises en miroir au fil d’un récit admirablement construit, les mèneront-elles à une possible réparation ? Tout le roman de Zeruya Shalev – métaphore subtile de l’histoire du pays, tend vers ce possible. Il est écrit avec la force d’un conte biblique, dans une langue qui puise ses racines dans le Tanak’h.     

©Agnès Bensimon

     
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