Quand tu écouteras cette chanson, Lola Lafon

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Nous retrouvons avec plaisir la chronique littéraire d’Esther Orner.

Quand tu écouteras cette chanson, Lola Lafon

Editions Stock dans la collection – Ma nuit au musée.

Très souvent, quand je termine de lire un livre et surtout quand j’essaye de le relire, je me dis qu’il ne me serait rien arrivé si je ne l’avais pas lu. Il m’arrive de refuser certains livres par préjugé, que je lis avec bonheur après des années quand on arrête d’en parler.  Snobisme ? J’ai besoin presque d’un même calme pour lire que pour écrire.

Et voilà qu’une amie venue de Marseille à qui j’avais répondu péremptoire que je ne voulais aucun livre proposé pour cette rentrée et que si elle voulait absolument m’apporter quelque chose que ce soit des Calissons de Provence. Ce qui fut exaucé dans un premier temps. Et puis elle m’apporta le livre de Lola Lafon sur Anne Frank. La surprise fut totale. Je l’ai lu et relu dans l’intention d’écrire quelque chose m’empêchant d’être la lectrice de soi, ce que je ne pus éviter de faire en lisant. Si Lola Lafon fait partie de la troisième génération, sa mère Jane, enfant cachée comme moi est génération et demie selon Susan Suleiman. Ses grands-parents me rappellent les miens.

Je ne l’ai lu ni comme un essai, ni comme une roman, ni comme une autobiographie. Plutôt une exofiction que Lafon n’utilise pas comme prétexte pour parler d’elle-même tout en étant la lectrice de soi – Chaque lecteur est quand il lit, le propre lecteur de soi-même  – Proust (R.T.P III, page 911, La Pléiade)

Elle nous restitue la vraie Anne Frank différente de tout ce qui a été dit dans le passé et même à l’heure actuelle. Elle lui donne une autre vie. Elle n’a pas relu le journal. Elle a passé une nuit dans l’annexe d’une maison à Amsterdam devenue un musée. Cette annexe où huit personnes se sont cachées, furent déportées et assassinées car Juifs, le seul survivant Otto Frank. Lafon s’est documentée en citant ses sources.

Anne Frank n’était pas seulement une adolescente qui écrivait un journal quelconque pour faire passer le temps dans sa cachette, comme elle fut présentée. Peut-être au début. Très vite elle sait qu’elle veut devenir écrivain. Elle récrit des pages dans ce sens-là : « …le plus sévère de mes juges c’est bien moi, c’est moi qui qui sait ce qui est bien ou mal écrit. »

Le journal n’a pas été tout de suite accepté. Ensuite chacun a voulu le tirer à soi. On en fera une pièce de théâtre, un film mais à certaines conditions : La pièce ne devra être ni « trop juive » ni « Trop triste ».

– Si Anne Frank n’est plus juive, nous pouvons tous être Anne Frank. Le journal doit et peut devenir une oeuvre à portée universelle. Tous vont s’y employer.
Ce paragraphe par exemple, qu’Anne Frank écrit le 11 avril 1944, on ne peut pas le conserver : …Nous sommes des juifs enchainés… Qui nous a a imposé cela ? Qui a fait de nous, les Juifs, une exception parmi tous les peuples ? Qui nous a fait tant souffrir jusqu’à présent ?   (…) On le supprimera et on le remplacera par ceci : Nous ne sommes pas les seuls à avoir enduré la souffrance. Il y a toujours des peuples opprimés. page 113

Un documentaire dont l’imaginaire n’est pas absent. La cinéaste Chantal Akerman affirmait que le documentaire c’était de la fiction.

Lola Lafon qui a passé une nuit dans l’annexe vide nous éclaire non seulement par son expérience, son acquis mais surtout par un texte littéraire qui pose le problème de l’écriture de l’écrivaine Anne Frank massacrée, mais aussi le sien et en général.

©Esther Orner

 Le livre a obtenu le prix Décembre 2022 et le prix Les Inrockuptibles.

Un livre sur Anne Frank

     
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