Le Pot-au-feu de Mary Meerson, Léone Jaffin

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La savoureuse chronique littéraire d’Esther Orner 

Le Pot-au-feu de Mary Meerson, 2005, Léone Jaffin – La Différence

En pensant à la cinémathèque du Trocadéro, j’ai sorti de ma bibliothèque Le Pot-Au-Feu de Mary Meerson de Léone Jaffin. Je vais me faire un plaisir de le relire ce Shabbat. Je l’ai commencé hier soir et  je me suis souvenue de la rue d’Ulm. Etudiante en 1961 j’y étais assidue. J’avais oublié que la cinémathèque était là avant ses déménagements. J’habitais à l’Hôtel des Capucines, rue des Feuillantines. J’y allais seule ou avec Jonathan c’était le début de notre relation.

Le livre est sorti en 2005 j’ai dû le lire alors et le rapporter avec une belle dédicace. C’était lors d’un de mes séjours avec Daphna dans l’appartement prêté par Léone. Je me souvenais aussi que le fameux couple mythique était éléphantesque. Ils devaient avoir du mal à s’extirper de leur grosse voiture.  Meerson a été très mince et très belle dans sa jeunesse. En exergue du livre, une parole de Nachman de Breslaw – Il  est interdit de vieillir. D’ailleurs il est mort très jeune, la trentaine.

Je me souviens bien sûr des fameux caviars, mais pas du Champagne rosé. En hébreu il y a tout une affaire autour du « Champagne Rose », mauvaise traduction. Léone raconte « … elle avait acheté rien que pour nous deux une boite d’un kilo de Sevruga. (…) en l’arrosant de Veuve Cliquot rosé  (page 25) ».

Le « Nous deux », c’est Léone et un ami à elle Guennadi chef d’orchestre russe qui vit à Londres.

Léone Jaffin et Mary Meerson sont toutes les deux de vraies conteuses. Léone ne raconte jamais une histoire deux fois de la même manière. Et c’est ainsi pour Meerson. Toutes les deux ne donnent pas de dates. J’aurais ça en commun avec elles.

Ce matin je suis allée consulter Google. Meerson selon l’acte de naissance est née en Bulgarie un 12 novembre 1902 et morte à Paris le 19 juillet 1993. Wikipédia ne raconte pas beaucoup. D’après Google je comprends que le livre de Léone est la seule biographie qui soit consacrée à cette femme qui avec Henry Langlois avait une réputation mondiale. Mais dans Wikipédia consacré à Langlois pas un mot sur Meerson si ce n’est la référence en bas de page du livre de Léone Jaffin.

En écrivant ce livre Léone a fait une œuvre féministe qu’elle y ait pensé ou pas. Elle a donné la place ou replacé la femme que fut Meerson dans son rôle prépondérant et non pas secondaire. Aujourd’hui on écrirait au moins qu’elle a été la compagne de Langlois de 1940 à 1977, année de sa mort lui qui est né à Smyrne le 13 novembre 1914.

(…)

J’ai aussi regardé une vidéo sur Langlois et là Mary Meerson a sa place. Malheureusement la vidéo  n’est pas visible jusqu’au bout.

Léone Jaffin et Mary Meerson se sont fréquentées assidûment au moins dix-huit ans. C’était peu de temps après la mort de Langlois et après la première sortie du livre de cuisine de Léone Jaffin en 1977, 150 recettes et Mille et Un souvenirs d’une juive d’Algérie.

Toutes les deux férues de cuisine, d’ici sans doute l’idée du Pot-au-feu autour duquel Léone Jaffin organise la biographie Meerson. Elle cite deux autres grandes dames ferventes de cuisine « Comme Gertrude Stein et Alice Toklas, ma préoccupation majeure quand je voyage en Espagne, n’est pas partir à la recherche des Goya ou des Gréco les plus sublimes, mais de me mettre en quête des différentes  recettes de gaspacho. Il est normal dès lors qu’obtenir de Mary sa recette pot-au-feu soit devenu pour moi une obsession, d’autant plus que le pot-au-feu est le plat de la cuisine que je préfère. » (page 29)

Dès les premières pages lorsque Mary Meerson la réveille en pleine nuit ou plutôt à trois heures et demi du matin sous prétexte de lui raconter une blague juive, Léone lui demandera en échange la recette du pot-au-feu qu’elle ne lui donnera pas entièrement cette nuit-là, juste ce qu’elle en fait avec les restes pendant trois jours, ce sera le moto du livre et à la fin son secret. Léone lui donnera le sien en échange, ce qui fait toute la différence d’un pot-au-feu à un autre. Ce qu’elle n’acceptera jamais c’est que Léone l’enregistre. Léone fera une biographie qui tient tout de même de l’exofiction avec ses souvenirs quelques années après la mort de cette femme fantasque qui passait ses journées et ses nuits à téléphoner, surtout les dernières années de sa vie quand elle ne sortait plus tout en étant entourée. Il est facile d’imaginer l’usage qu’elle aurait fait du portable, elle qui méprisait la télé, cet « hublot », seul le cinéma comptait. Elle avait beaucoup lu et connaissait plein de langues comme les gens de l’Est et de sa génération. Ce n’est plus le cas de nos jours.

J’ai bien aimé l’idée qu’exprime Meerson sur ceux pour qui la vie ressemble à une traversée dans l’Orient Express où l’on se cale dans son siège, on lit un gros livre, on se lève deux trois fois pour aller manger, on regarde de temps en temps par la fenêtre la pluie tomber. Et  puis il y a ceux qui comme elle et Léone qui arrive n’importe où, commence et recommence leur vie. (pages  229 et 232 )

En refermant le livre je me suis promise de faire un pot-au-feu lorsque j’inviterai des amis, à moins que j’attende que l’été passe.

L’été est passé. L’hiver telavivien est là. J’en suis à mon second pot-au-feu qui ressemble davantage à celui de ma mère et de ma tante Tosca. Le fameux yoer du Shabbat avec les mêmes ingrédients.

Esther Orner

Cette chronique est écrite à partir de passages de Memories 3 ou Mémoires d’une Paresseuse.

 

     
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