Après la mort de Chantal Akerman par Esther Orner

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Chantal Akerman

 

Ce passage tiré de « Memories 3 ou Mémoires d’une Paresseuse », est un des nombreux passages où Esther Orner parle de Chantal Akerman, sa cousine. Elle l’offre à ses amies et amis pour commémorer sa disparition le 5 octobre 2015 et en date hébraïque Chemini Atseret, le 22 Tichri.

J’ai enfin pu regarder La folie Almayer. Il m’a fallu des mois et des mois pour que j’aie le courage d’affronter ce grand film après la mort de Chantal, un de ses plus profonds.
Pourquoi seulement aujourd’hui ? Un an après la réception du DVD ?

Pourquoi pas avant ? De quoi avais-je peur ? Et pourquoi aujourd’hui ?

Je laisserai ces questions en suspens. Je dirai juste moi qui n’aime pas les superlatifs – Génial. Je l’ai regardé deux fois de suite. Il me semble que j’ai déjà cité Camus disant que tout l’art de Kafka consistait à vous obliger à le relire. C’est valable aussi pour Chantal Akerman.

L’année dernière quand Sonia Wieder-Atherton est venue à Tel Aviv pour La nuit de la philosophie elle m’a aidée à commander le film par Amazon. J’ai reçu la vidéo. Je l’ai d’abord mise sur ma petite table dans le salon où se trouve un bouquet de fleurs jaunes chinoises qui appartenait à Chantal qui en achetait sans fin. C’est Sonia qui me l’a apporté quelques temps après la mort subite de Chantal. Puis j’ai mis  la vidéo sur ma table de travail. A vrai dire j’ai essayé de la regarder sur mon ordinateur. Je ne suis pas arrivée à ma débrouiller toute seule. J’ai dû attendre ma coach Shir pour qu’elle me le règle.

Chantal comme Jonathan étaient tous les deux doués pour toutes les nouveautés techniques. Dès qu’il y eut une machine à photocopier bien avant l’ordinateur individuel, elle en acheta une. C’est elle qui photocopia mon Elle a dit.

En visionnant le film, Jeanne Dielman me traversait l’esprit, bien que La folie Almayer est presqu’à l’opposé. Je pensais aussi à Chantal que je retrouvais dans ses personnages. On entend sa voix de grande fumeuse, sans la voir.
J’ai relu l’entretien qui accompagne la cassette. J’avais oublié cette lecture. Il m’éclaire et me conforte. Ce film est sans conteste un film de maturité et Jeanne Dielman tourné à l’âge de 25 ans n’est pas pour autant l’oeuvre d’une débutante. Elle se laisse davantage guider par son inconscient.  Et pour aller vite laissons à Saute ma ville et à Je, tu, elle  le rôle d’oeuvres de jeunesse.

Ailleurs j’ai écrit combien Saute ma ville était son Ars poetica.

Il y a la chanson Sway  par Dean Martin – 1963 qui ouvre La folie Almayer. Chantal avait 13 ans. Ce film me rend Chantal bien présente et avec elle tous mes regrets.

Je n’arrivais plus à écrire même mes Memories. J’étais trop triste. Trop frustrée. Ce sont peut-être une des raisons qui m’ont permis de commencer à regarder cette œuvre que j’imaginais difficile comme la plupart de ses films.

Tout créateur se sent souvent frustré de ne pas être reconnu soit pour ce qu’il est, soit pour ce qu’il voudrait que l’on reconnaisse en lui. Malheureusement Chantal n’y échappait pas, elle qui était très connue et reconnue.

J’ai été voir sa filmographie. J’ai vu ce que j’appréhendais que La folie Almayer était son dernier film de fiction avant No Home Movie pour lequel ma langue fourchait et que je nommais – No more movie.

Esther Orner

Lire aussi par Esther Orner Une dernière conversation avec Chantal Akerman

     
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