Ah vous avez oublié (21-30) par Esther Orner

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Après Te souvient-il, et Sortir, bien sûr , je publie sous forme de feuilleton littéraire, « Ah vous avez oublié » de l’écrivaine israélienne de langue française Esther Orner. Retrouvez-là chaque semaine.

Pour lire :

21.

Et l’amie intime de votre mère que vous n’avez pas oubliée. Vous ne le pouviez bien que longtemps avant sa mort vous ne l’aviez plus revue. Juste au téléphone. Elle vous donnait des nouvelles. Votre mère n’était plus. L’amie vécut très longtemps. Trop disait-elle en précisant je me couche le soir et ne suis pas sûre de me réveiller. Avait-elle peur ? L’a-t-elle dit. Lui aviez vous posé la question ? Peut-être mais si oui vous l’avez oublié. Et d’ailleurs ce n’est pas une question à poser. Elle a survécu  à son mari. Son fils a réapparu ces jours-ci comme un revenant. Vous ne l’aviez pas oublié mais vous n’y pensiez plus. Il a dit ma mère était une sainte. Elle est morte presque centenaire le jour le plus saint de l’année.

22.

Ah vous aviez oublié comment ou par qui vous aviez connu une de vos meilleures amies. Cela vous a bien sûr intrigué. Et comment ne pas l’être. L’amie n’était tout de même pas sortie de nulle part. Vous avez passé en revue tout ce qui vous liait à voix haute et aussi seule avec vous même sans jamais retrouver dans votre sous-sol ce que vous recherchiez.  Là vous seriez tentée de dire dans votre cave. Et vous vous répétiez Oh vieillesse Oh désespoir. A voix basse. Puis à un moment donné quelqu’un a évoqué le nom d’une ville dans la montagne du Nord. Et en un quart de seconde vous retrouviez la fameuse intermédiaire. Toutes les deux ne sont plus. Toutes les deux de la vilaine maladie. L’intermédiaire en dernier. Toutes les deux de grandes amitiés. Et vous avez compris que c’était bien au-delà d’un simple oubli. 

23.

Vous avez failli oublier le jour de l’année de la mort de votre mère. Ça peut arriver quand on vit selon deux calendriers.  Vous auriez pu oublier  d’allumer une bougie. Une de ces bougies que dans votre enfance on allumait que pour rappeler le jour-même où la personne était partie définitivement. Très consciemment vous cherchiez à sortir de votre sous-sol une phrase ou un acte pour célébrer votre mère. Le mot  Kindle qui n’a rien à voir avec elle est apparu sur votre écran. Et quelqu’un a parlé de liseuse pour Kindle.  Et la liseuse rose crochetée pour vous par votre mère qui vous reprochait de lire trop vous a submergée un court instant. Vous souriez. Depuis longtemps elle est trop petite pour vous. Vous la garder comme une relique. Et depuis vingt et un an vous n’oubliez jamais d’allumer la bougie mémorielle. Vous avez commencez un an après sa disparition. Et finalement les deux liseuses ont à voir avec elle. Ne l’oubliez plus.

24

Vous croyez aux revenants n’est-ce pas ? Enfin pas comme dans les histoires ou dans les films. Vous n’oublierez jamais le cri de la femme au téléphone avec son amant quand son mari l’homme assassiné lui toucha l’épaule. Vous aviez cinq ans et on vous emmenait partout de toute manière les enfants ne comprennent rien. Là il est question de revenants vivants. Souvent ils réapparaissent avant Kippour. Ainsi une amie très chère elles le sont toutes jusqu’au jour ou elles disparaissent souvent lors d’un malentendu. Oui vous l’oubliez jusqu’au jour où on ne sait comment elles réapparaissent. Si elles réapparaissent. Curieusement vous évoquiez l’amie sans dire son nom dans l’histoire de celle qui rentre dans une cuisine pas la sienne et soulève les couvercles. Quelques jours plus tard elle a réapparu  après quinze ou vingt ans. Ça aussi c’est inoubliable. Tant qu’il y a de la vie… Encore ? N’oubliez pas de signaler que l’amie a réapparu au téléphone. Et en attendant de vos revoir si vous vous revoyez la relation se fait par WhatsApp. Et rarement au téléphone.

25.

 Il vous arrive comme tout le monde d’emprunter ou de vous approprier une expression qui vous a plu, amusée ou disons marquée. Ainsi vous avez annoncé que certaines personnes ne feraient plus partie  de votre premier cercle. Vous n’avez pas dû chercher dans votre sous-sol car vous ne pouviez oublier l’amie qui lors d’un de vos passages dans sa ville vous invita à son anniversaire en disant je ne peux inviter que le premier cercle d’amis la maison n’est pas assez grande. Elle n’était pas petite pour autant. Vous vous attendiez à rencontrer cinq six personnes ou disons une petite dizaine. Et ce fut une cinquantaine de personnes qui formait le premier cercle des amis. Votre mère aurait dit quelques amis et des connaissances. 

26.

Vous qui aviez une mémoire phénoménale vous refusiez les pense-bête jusqu’au jour où vous vous êtes laissée convaincre qu’il ne fallait pas s’encombrer et que parfois il valait mieux faire des listes. Une de vos amies perdue de vue qui a réapparu pour ressortir à nouveau de votre vie, vous l’aviez vue de loin sur son vélo quand ce n’était pas encore la grande mode. Elle est en route et crie tu es sur ma liste je t’appelle le plus tôt possible. Vous riez. Et quand elle vous a appelé un jour ou deux plus tard elle vous a dit – moi je ne m’encombre pas. Je note. Après tout pourquoi pas. Vous l’avez écoutée. Et depuis lors même si vous notez il vous arrive  d’oublier votre liste. Et même où vous l’avez mise.

27.

 Il vous arrive aussi d’écrire ce que vous écoutez. Simplement pour ne pas oublier. Ainsi vous avez écrit la parole d’un auteur qui posait la question si écrire c’était trahir. C’était au sujet de sa famille qu’il mettait en scène sans aucune transposition. Toute sa famille s’est fâchée. Ecrire en soi n’est-ce pas trahir ? Raconter sa vie peut-être mais celle des autres c’est différent tout de même. L’auriez vous oublié ?

28.

Elle était en colère en vous disant que vous ne terminiez jamais vos phrases. Et en vous lisant c’était la même chose.Vous essayez de vous excuser. Vous lui avez promis, d’essayer de ne pas oublier. Vous l’aviez revue après cinquante ans. Une après-midi consacrée à la mémoire de son mari pour lequel elle avait fait éditer le livre des psaumes avec lequel vous êtes retournée chez vous dans une autre ville. Vous n’aviez pas oublié ces personnes qui faisaient partie de votre quotidien dans un village d’enfants qui a été démoli petit à petit pour laisser place à un immense cimetière.

29.

Vous qui faisiez des régimes il vous arrive d’oublier de manger. Le petit déjeuner reste votre préféré. Vous déjeunez distraitement. Vous n’avez plus envie de cuisiner. Lors d’une longue conversation, vous essayez de vous justifier. Souvent le soir vous oubliez de diner. Après tout on cuisine toujours pour quelqu’un. Et ainsi de suite. Vous vous faites ramener à l’ordre et à la fin de la conversation bien plus longue qu’elle ne paraît ce n’oubliez pas de cuisiner pour vous même. 

30.

Encore une qui a disparu. Il y a disparition et disparition. Quelqu’un qui subitement disparaît de ce monde. Et plus nombreuses sont les disparitions à cause des distances, de changements de vie. Les personnes peuvent réapparaître un jour comme elles ont disparu. Puis il y a ceux qui sont allés trop loin dans leurs paroles ou comportements et elles ou vous n’en pouvez plus. Et là une vieille amie que si elle n’habitait pas la même ville que vous n’oubliait jamais les anniversaires ni de souhaiter la bonne année. Vous n’arriviez jamais à la devancer. Vous la chercher sans savoir où la chercher.  Elle n’a pas pu oublier de vous appeler. Elle a dû vraiment disparaitre.

©Esther Orner

 

 

     
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