Sainte-Sophie à l’époque de l’Empereur Justinien

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A l’initiative du président Recep Tayyip Erdogan, le 10 juillet 2020,  Sainte-Sophie, Hagia-Sofia, est transformée de musée en mosquée. C’est à l’origine une basilique construite par l’empereur Constantin en 330 après sa conversion au christianisme. Elle a été vraisemblablement édifiée sur les ruines d’un temple dédié à Apollon. Elle a été souvent incendiée puis reconstruite notamment par l’empereur Justinien (482-565) qui va lui donner son aspect actuel. Le bâtiment était à l’époque décoré de magnifiques mosaïques figuratives qui ont été toutes détruites pendant la crise iconoclaste du VIIIe et IXe siècle. On le voit la basilique aura eu un destin plus que mouvementé.

J’ai écrit, il y a quelques années un livre intitulé « La Dernière Mosaïque » qui retrace la vie d »un mosaïste juif né en Palestine au VIe siècle et qui, grâce à son art, va connaître un destin exceptionnel, voyageant dans l’Empire byzantin, de chantier en chantier, de Sainte-Sophie à Ravenne, du monastère Sainte-Catherine au Sinaï jusqu’à sa dernière mosaïque, la carte de Madaba. J’ai donc eu envie de publier un extrait de ce manuscrit où il est question de Sainte-Sophie.

Intérieur d’Hagia Sofia par John Singer Sargent – 1891

 

– Mais t’ai-je assez décrit la splendeur de Sainte-Sophie ? Sa construction battait son plein, la vitesse de son exécution était admirable. Des milliers d’ouvriers venus de tout l’Empire, cent maîtres maçons sous les ordres directs de l’Empereur Justinien suivaient les indications de deux architectes de génie, Anthémios de Tralles et Isidore de Millet et j’étais l’un d’entre eux. Le dôme, la distance entre moi et le dôme, incommensurable. Pour le dôme, Justinien avait fait confectionner à Rhodes des briques d’une terre si légère que douze d’entre elles ne pesaient pas plus qu’une brique ordinaire ; elles étaient disposées en assises régulières dans lesquelles on avait maçonné des reliques alors que le clergé disait des prières.

Les plus beaux marbres de la Méditerranée, marbre rose, marbre blanc de Marmara, marbre vert de l’île d’Eubée, marbre jaune d’Afrique brillaient et s’harmonisaient. Des chapiteaux finement ciselés posés sur des colonnes pillées dans les anciens temples : les gouverneurs des provinces furent tenus d’envoyer à Constantinople les plus belles parties des monuments antiques, destinées à être intégrées dans la construction, les temples de Diane d’Athènes, de Delphes, de Délos, d’Osiris en Égypte apportèrent leur contribution involontaire au projet grandiose de l’Empereur, le gymnase du port d’Ephèse fournit ses huit colonnes de teinte verte. Paradoxalement, la Sédition Nika qui avait détruit une grande partie de la capitale devint une bénédiction pour l’Empereur, elle lui permit de donner libre cours à sa passion de construire et de doter Constantinople de monuments dignes de son rang. C’est vrai, Procope avait raison : il disait que dans la basilique, le soleil ne semble pas illuminer du dehors, que ces rayons semblent provenir de l’intérieur, tant est abondante la lumière qui se déverse dans l’édifice. Et grâce à cet éclairage, la basilique ne semble pas être sortie de terre, ancrée au sol par ses solides fondations mais plutôt recouvrir l’espace, être suspendue au ciel par une fabuleuse chaîne d’or, légère malgré ses formidables proportions.

– Tu sais, je suis encore ému d’avoir vu tant de beauté. 

  Lors de la cérémonie d’inauguration, l’Empereur s’est écrié : 

  « Gloire à Dieu qui m’a jugé digne 

           d’accomplir cet ouvrage ; je t’ai surpassé ô Salomon ! « 

  A cet instant, l’image des ruines du Temple m’assaillit et je souhaitais à Hagia Sofia un meilleur avenir. Les prières, les festins publics et les distributions d’aumônes durèrent quatorze jours. Nous, artisans, eurent l’immense honneur d’être conviés à la fête, c’était étrange, je regardais les mosaïques, j’avais participé à leur conception, elles m’avaient occupé de longues journées mais déjà elle ne m’appartenaient plus.

©Rachel Samoul

 

     
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