Sortir, bien sûr par Esther Orner (7-13)

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La deuxième partie de notre feuilleton littéraire hebdomadaire : « Sortir, bien sûr », par Esther Orner

Sortir, bien sûr par Esther Orner (1-6)

7.  Sortir c’est s’habiller, a-t-il dit. Enlève ce vieux pull. Vieux ? Plutôt usé. Donc vieux. Plein de souvenirs. Le dire est signe d’une grande amitié. On ne sort pas habillé de la même façon que chez soi. Ca dépend. Il a ceux qui dès l’aube sont habillés pas seulement pour sortir dans la rue. Et il y a ceux qui trainent en peignoir. Un vieux peignoir usé. Pas forcément. Une robe d’intérieur. Une robe de chambre. De toutes les couleurs. De toutes les matières. Et on oublie le vieux pull tout usé et ses souvenirs.

8. L’enfant se bourre. Encore. Encore. Demain aussi est un jour, a-t-elle dit. Oui mais, ne disait-elle pas ne rien garder sur soi, ce que l’on avait pris, on ne pouvait vous le voler. Et c’était après le partage du pain dont celle qui le partageait était la seule à en connaitre l’origine. Aurait-elle oublié ? Il ne faut pas tout confondre. C’était alors. Oui mais. Oublie. On n’oublie rien. Ce n’est pas une raison de se bourrer.

9. Un plat brisé. Cassé. Il n’est pourtant pas tombé à terre. Un plat en terre cuite. Une poterie. Un plat avec couvercle. Un plat qui va au four. Il s’est fendu. Il ne convenait plus et les convives avaient disparu. Ils ne se réunissaient plus autour de ce plat chaleureux. Convivial. Un jour tout s’est fendu. Il ne restait plus qu’à jeter le plat. Il ne fut pas remplacé. Restent les souvenirs. Pour le pire et le meilleur.

10. Quelle est la marque du parfum introuvable ici. Elle avait disparu. Pas tout à fait. Depuis longtemps elles ne s’étaient plus parlées. Le quotidien. Ce coup de fil juste avant de monter dans l’avion n’était-ce pas la preuve d’une réelle amitié. Certes. C’était aussi beau que l’heure bleue. Partir ce n’est pas mourir. Partir c’est partir. Et aussi revenir.

11. Elle boite avec sa jolie canne. Ses proches savent ce qui lui est arrivé. Les autres ne s’y intéressent pas. Les vieux ont des cannes quand ils ne sont pas sur chaise roulante. Et pourquoi s’y intéresseraient-ils, a-t-elle demandé. Et elle s’est souvenue de cette voisine qui boitait très fort sans canne. Elle l’a suivie jusqu’au fleuve qui était plutôt une rivière. Cette rivière verdâtre se jette dans la mer, c’est donc un fleuve. Et là, quelqu’un qu’elle ne reverra plus l’attendait dans une barque.

12. Je viendrai avec les douze tribus d’Israel. Viens seule, a-t-elle dit. Laisse les tribus. Oublie-les. Oublie.Viens. Prends le premier avion. On se promènera au bord de la mer ou sur la nouvelle digue. On parlera des douze tribus. Et d’autre chose. Elles ont marché bras dessus, bras dessous. Pas tout le monde n’a accès, tu comprends. Oui, bien sûr. Et elle s’est souvenue que toutes les deux ne terminaient jamais leurs phrases.

13. Dans cette ville on rencontre tout le monde comme dans les cauchemars a dit la jeune fille. On tombe sur quelqu’un que l’on a connu ou rencontré dans un temps reculé ou même proche et que l’on aurait préféré ne plus revoir. On tombe aussi sur des personnes perdues de vue. On échange quelques mots chaleureux pour se perdre à nouveau. Le plus bizarre c’est de se retrouver par le plus grand des hasards et malencontreusement assis à côté de gens dont aucun n’imaginait cette situation possible.Vous êtes transparent pour eux. Personne ne s’y attendait. Et pourtant ce n’est pas un village où les rencontres sont inévitables.

©Esther Orner

L’illustration est de l’artiste Colette Leinman et fait partie de sa série N’Hommades.

 

     
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