En marchant, en écrivant : D’un cimetière à l’autre

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Me voilà de nouveau loin de mes quartiers habituels. Lors de ma dernière promenade, Pinèdes et orangeraies dans la ville, j’ai contourné l’Eglise de l’apôtre Pierre et de Tabitha-la-Juste. On peut la visiter du vendredi au dimanche. Trop curieuse, je voulais voir ce qui se cachait derrière son enceinte. Du dépaysement, entre Italie et Russie. Italie, plus précisément Toscane, grâce au campanile et à la végétation. De certains points de vue, on ne devine même pas la ville et on peut vraiment rêver en italien, le tout dans le brouhaha du cri des perroquets. Russie parce que tout est écrit en russe, les visiteurs sont des touristes russes, le mendiant à l’entrée de l’Eglise aussi, l’intérieur de l’Eglise est décorée d’icônes, la prière pré-enregistrée déversée d’un haut-parleur est en russe et les épitaphes sur les tombes autour de l’église sont écrites en cyrillique. Sauf quelques-unes en français dont celle d’Etienne J. Coïdan, agent de la compagnie russe de navigation et de commerce, né à Argostoli dans l’ile grecque de Céphalonie le 16/29 juillet 1849, – drôle de date de naissance – et décédé à Jaffa le 24/6 juin 1909. Bizarre, bizarre. Concertation avec Charles. On pense au calendrier julien. Vérification rapide chez notre ami Google. En effet, les églises orthodoxes utilisent le calendrier julien qui a une différence de treize jours avec le calendrier grégorien. On n’y a pas pensé tout de suite car le 24/6 de la date du décés, pouvait-être lu 24 juin. A propos, dans le calendrier hébraïque, nous nous trouvons dans le mois de Tamouz, d’après le nom d’une divinité sumérienne, et dans le calendrier hégirien, c’est le mois du Ramadan et à nous de nous enraciner dans le temps présent. La tombe de Tabitha bien sûr et encore d’autres tombes, un cimetière très bien entretenu et pastoral. Je cherche un quelconque souvenir des tombes juives qui se trouvaient là à l’époque du Talmud mais sans succès.

Nous décidons de prolonger la promenade à la recherche de la rue Dreyfus qui ne doit pas être très loin. J’avais vérifié après avoir écrit Rues Lord Byron, Jean Jaurès, Emile Zola.

Nous sommes dans le quartier de Kyriat Shalom que je ne connais pas du tout. Je suis ravie, j’aime beaucoup les premières fois. Kyriat Shalom englobe trois districts différents construits dans les années 50, le שיכון הותיקים, le Shikoun HaVatikim, qui était destiné aux anciens de la Histadrout et qui fonctionnait comme une coopérative.  De son côté, le ministère de la Défense a construit un quartier pour les officiers de carrière et aussi un autre, nommé Le logement du roc, שיכון סלע pour les anciens de l’Irgoun de Menahem Begin et du Lehi, les factions dissidentes de la Haganah. Ce sont des maisons de un étage divisé en quatre avec balcons et jardinets. Les barres ont été ajoutées plus tard dans les années 60. Aujourd’hui, la plupart des habitants sont originaires du Boukhara, arrivés dans les années 60 et 70.

Petite récapitulation de notre parcours : on a tourné à gauche en sortant de l’église, sous le pont dans la rue Ofer Cohen, un officier de police très apprécié, tué en service alors qu’il luttait contre le crime et la drogue à Jaffa. Une synagogue, un parc, celui de la Histadrout, des maisons agréables en bordure de pinède. On a tourné dans la rue Shloshet Hahetsim, la rue des Trois flèches, le symbole du front sud pendant la Guerre d’Indépendance, là où il a fallu endiguer la poussée des Egyptiens. Puis HaKeshet, la rue de l’arc-enciel, une rue en boucle. On se retrouve dans la rue principale, la rue Israël Guri, un député élu à la première Knesset en 1949 et qui siègera jusqu’à sa mort en 1965. C’est aussi l’un des pionniers du végétarisme en Israël. Il serait très heureux de voir comment aujourd’hui le mouvement vegan fait de nombreux émules parmi les jeunes Israéliens. De nouveau un parc avec de beaux arbres à la floraison rouge et d’autres aux troncs semblables à des baobabs, une vaste école avec un imposant château d’eau peint en rose saumon qui rappelle la couleur du campanile de l’église de Tabitha. Une ambiance moshav très agréable.

La rue Shlomo Kaplanski, qui fut directeur du Technion à Haïfa et voilà la rue Dreyfus, totalement insignifiante. Mais que vient donc faire Frederich Schiller dans ce quartier. Vérification faite, il s’agit de la rue Shlomo Schiller, un directeur de la Gymnasia Haivrit, du lycée hébraïque de Jérusalem qui prit le nom du poète et écrivain allemand, en guise d’hommage !

Nous nous dirigeons vers Derech Kibboutz Galouyot, l’un des grands axes perpendiculaire à la mer du Sud de Tel Aviv, la Route du rassemblement des exilés.

Sur la gauche, le siège du mouvement de jeunesse, la Jeunesse qui travaille et qui étudie, HaNoar HaOved VeHaLomed הנוער העובד והלומד.  Le bâtiment se trouve à l’emplacement de la maison où a été assassiné l’écrivain Haïm Brenner et cinq autres intellectuels, le 2 mai 1921, par des arabes de Jaffa. Il avait quarante ans. Il partageait sa chambre avec un autre écrivain Joseph Luidor dont le corps ne sera jamais retrouvé. Il y a une rue Brenner parallèle à la rue Sheinkin et perpendiculaire à Allenby, j’irais y marcher. J’ai l’impression de me passer à moi-même le témoin d’une promenade à l’autre. On dit de l’hébreu de Haïm Brenner qu’il a écrit la langue parlée avant même qu’elle ne soit parlée.

Le long de Derech Kiboutz Galouyot, et au coin de Sderot Hokhmei Lublin, un cimetière musulman abandonné, en très mauvais état, nous nous y hissons par une brèche dans le mur d’enceinte. Ce mur sur lequel fut retrouvé les corps de Yosef Haïm Brenner et de ses amis. Le cimetière, du début du XXe siècle se trouve autour d’une structure à deux dômes, le mausolée de Sheikh Morad de l’époque mamelouke, cette dynastie qui régna au Moyen-Orient en Egypte, en Syrie et dans toute la péninsule arabique avant d’être renversée par les Ottomans. Des pierres tombales fracassées, des détritus, des gravats, c’est dans un état déplorable. Triste. Pourquoi la Municipalité de Tel Aviv ne fait rien pour que ce cimetière soit respecté ? Quelques tombes semblent récentes et bien entretenues. J’apprends qu’il s’agit de tombes de collaborateurs que les autorités musulmanes religieuses de Jaffa refusent d’enterrer dans le cimetière de Jaffa. J’ai un peu de mal à comprendre, comment peut-il y avoir des collaborateurs à Jaffa ?  Je ne peux y échapper, en marchant, en écrivant à Tel Aviv, ce ne peut pas être que de la randonnée, c’est politique, souvent douloureux et surtout très complexe.

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Les jardins de l’église russe de l’apôtre Pierre et de Tabitha-la-Juste, Tel Aviv

 

 

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Le mausolée de Cheikh Mourad, Derech Kibboutz Galouyot

 

Lire la marche précédente :
Pinèdes et orangeraies dans la ville

Tel Aviv, En marchant, en écrivant : Marche n°41

Distance parcourue : 2, 5 kilomètres

Date :   20 juin 2015, 3 Tamouz 5775

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