Tel Aviv, en marchant, en écrivant : Marcher avec les philosophes

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Au coin de Ben-Gourion, rue Reinesprononcer rayenessse, aucune reine à l’horizon, enfin oui, un peu plus loin Esther HaMalka. Il s’agit d’Isaac Jacob Reines (1839-1915), éminent rabbin de Pologne, l’un des fondateurs à Vilna de l’organisation sioniste religieuse Mizrahi, acronyme pour Merkaz RouhaniCentre spirituel. Le mouvement de jeunesse Bnei Akiva lui est affilié. C’est drôle de penser que l’initiateur de ce mouvement tellement attaché aujourd’hui à la Terre d’Israël était en faveur du Projet Ouganda proposé comme pis-aller en 1903 par Herzl lors du sixième Congrès sioniste, la situation des Juifs en Russie devenant de plus en plus précaire et les Turcs s’opposant à leur installation en Palestine.

Au coin de la rue Reines et de l’avenue Ben-Gourion, une résidence coopérative ouvrière, Meonot Ovdim, la résidence G des architectes Joseph Neufeld, Israël Dicker, Arieh Sharon et Carl Rubin construite en 1936. Un complexe de style moderniste inspiré de l’idéologie du Bauhaus avec un jardin intérieur et à l’époque, au rez-de-chaussée des parties communes. N’hésitez pas à vérifier si les grilles sont ouvertes et découvrez le jardin un peu négligé, avec un vieux tronc mort posé comme un banc, mais un havre de paix en plein centre-ville.

Au numéro 52 de la rue Reines, une plaque commémorative en l’honneur d’Ada Ben Nahum (1927-1990), dramaturge et scénariste, l’une des fondatrices du théâtre de Beer-Sheva et directrice artistique de nombreux autres théâtres. Elle a traduit et monté en hébreu de nombreuses pièces de Molière, Feydeau et Goldoni. C’est aussi une héroïne de la Guerre d’Indépendance.

Tout le long de la rue Reines, des ficus d’âge vénérable et de beaux bâtiments Bauhaus. Au numéro 32, une belle entrée en céramique turquoise. Au numéro 36, il y a de façon un peu incongrue, depuis de nombreuses années, un magasin de lampes Tiffany made in Israël. Un graffiti d’un serpent boa qui digère un éléphant, et plus loin, écrit sur un mur, C’est écrit sur le mur. En face, au numéro 27, des balcons semi-circulaires et un palmier qui semble avoir été déculotté.

Je tourne à gauche dans la rue Frishman. Au coin, au numéro 20 de la rue Reines, le Salon Lili, une institution, une entreprise familiale, l’une des premières boutiques de lingerie fine de Tel Aviv, fondée en 1954. Sur le toit, une poutre en béton armé ceinture l’immeuble comme une couronne, la réalisation de l’architecte Benjamin Anekstein qui a fait ses études à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles puis à Gand.

Je tourne à gauche dans la rue Spinoza pour laquelle j’ai une affection particulière, pour le philosophe bien sûr mais aussi parce que c’est là que Dan allait au gan, au jardin d’enfants.

Au numéro 2 de la rue Spinoza, j’entre dans le hall resté en l’état avec de belles fenêtres vitrées et surtout des boites aux lettres très stylées avec des petits tiroirs aux poignées blanches.

La rue Spinoza est vraiment un bonheur ! Une enfilade de maisons Bauhaus, une végétation abondante, des balcons fleuris et le fameux gan.  Un beau camion de pompiers rouge et jaune pour jouer et une treille ! Barouch Spinoza disait: La sagesse n’est pas la méditation de la mort, mais la méditation de la vie. C’est sans doute pour cela que je marche dans la ville.

Je me demande ce que les rabbins d’Amsterdam penseraient du fait que Spinoza a sa rue dans l’Etat d’Israël, eux qui l’ont coupé de sa communauté :

Sachez que vous ne devez avoir avec Spinoza aucune relation ni écrite ni verbale. Qu’il ne lui soit rendu aucun service et que personne ne l’approche à moins de quatre coudées. Que personne ne demeure sous le même toit que lui et que personne ne lise aucun de ses écrits. Ils auraient du ajouter et que personne ne marche dans sa rue !

Me revoilà dans Ben Gourion, je tourne presque immédiatement à droite dans la petite rue Philon, un intellectuel et philosophe juif à Alexandrie au Ier siècle qui voulut faire le lien entre le judaïsme et l’hellénisme. En hébreu, il s’appelle Yedidia HaCohen. La rue Philon débouche sur la rue Mendelssohn. La rue que je cherchais. En effet, lors de ma dernière promenade, j’ai croisé la rue Nathan HaHacham, Nathan Le Sage,  titre d’une pièce célèbre de l’auteur allemand du XVIIIe siècle Gotthold Ephraim Lessing et personnage inspiré d’un de ses amis très proches,  Moïse Mendelssohn. Philosophe juif allemand, à l’origine de la Haskalah, la version juive des Lumières. Brillant autodictacte, pont entre la culture allemande et le judaïsme. Encore une très jolie rue. Elle est courte, je la fais dans les deux sens et je me retrouve dans Shlomo HaMelech, la rue du Roi Salomon, un philosophe aussi. Au coin, au numéro 10, un très beau bâtiment Bauhaus de 1936  bien rénové avec entrée en céramique, verrières, volumes parfaits et pergola sur le toit. Je marche vers Ben Gourion puis reviens sur mes pas.

Je me dirige donc de nouveau vers Frishman. J’ai toujours cru que les rues de Tel Aviv portaient essentiellement des noms de personnalités sionistes mais ce n’est pas toujours le cas. David Frishman par exemple était très critique du Sionisme mais, après avoir visité deux fois le Pays en 1911 et en 1912, il changea d’avis. Il écrivait en hébreu et il a traduit des philosophes en hébreu comme Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzche mais aussi des oeuvres de Lord Byron, d’Henri Heine et aussi des contes d’Andersen.

Quelques pas dans la rue Frishman et je tourne à gauche dans la rue Herman Cohen, je croise un couple qui parle au téléphone, elle tient son smartphone dans la main droite et lui dans la main gauche. Ils sont collés serrés, on dirait donc une seule entité avec des écouteurs sur les oreilles.

Herman Cohen est un philosophe juif allemand, il a écrit des ouvrages comme Judaïsme et germanité (1842-1918) et aussi Religion de la raison tirée des sources du judaïsme. C’est surprenant qu’il ait une rue à son nom car c’était un vif opposant au sionisme. Il pensait que le judaïsme avait une mission morale et universelle qui transcendait les aspirations nationalistes. Pas mal d’humour chez les baptiseurs de rue !

Tiferet Tsvi, une synagogue imposante avec de beaux vitraux se trouve au numéro 9. Elle a un dôme blanc qu’on voit des rues environnantes, si on prend le temps de lever la tête.

Fin du parcours au coin de la rue Herman Cohen et de la rue Gordon. Bonheur ou béatitude ?

Suffit-il de marcher dans des rues portant des noms de philosophes pour se mettre à philosopher ? Oui, car comme disait Karl Jaspers, Philosopher, c’est être en route. Nietzsche, quant à lui, déclarait dans Le gai savoir : Je n’écris pas qu’avec la main ; mon pied veut toujours être aussi de la partie.

Graffiti Tel Aviv

C’est écrit sur le mur

 

 

photo (91)

Palmier déculotté, rue Reines

Gan Spinoza, Tel Aviv

Gan Spinoza, Tel Aviv

Bauhaus et bougainvillée, rue Spinoza, Tel Aviv

Bauhaus et bougainvillée, rue Spinoza, Tel Aviv

Le dôme de la synagogue Tiferet Tsvi, rue Herman Cohen, Tel Aviv

Le dôme de la synagogue Tiferet Tsvi, rue Herman Cohen, Tel Aviv

 

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Rues Lord Byron, Jean Jaurès, Emile Zola

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Tel Aviv, En marchant, en écrivant : Marche n°39

Distance parcourue : 1, 600 kilomètre

Date :   10 juin 2015, 19 Sivan 5775

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