Eichmann et la petite robe rouge

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Ce texte de Galith Touati a été publié dans le n° 8 de la revue Continuum, la revue des Ecrivains israéliens de langue française, dont le thème principal était 50 ans après le Procès.

Eichmann et la petite robe rouge

« Eichmann et moi », c’est ainsi que j’ai d’abord compris la question, oblitérant le mot « procès ». Elle m’a agacée. Comme si il y avait quelque chose de commun, une quelconque intimité, entre ce type et moi.

Je suis née dix ans après le procès d’Eichmann. Les expressions « banalité du mal, conférence de Wansee et Solution finale »  ont longtemps résonné, sinon comme une abstraction, comme des références dans une culture générale. Elles me renvoyaient, tout au plus,  à la froideur bureaucratique dont Eichmann était le protagoniste. La Shoah, telle que  je me la figurais, n’avait pas ce visage.

Au lycée dans les années 80, on nous avait montré Nuit et brouillard. Je me souviens qu’aucune parole n’avait été échangée avant et après la projection du film. L’année suivante, l’actualité nous avait appris le suicide de Primo Levi et mes parents et moi avions lu Si c’est un homme. Plus tard, j’ai entamé des études d’histoire.

A la question « Le procès Eichmann et vous ? », j’ai d’abord cherché une réponse d’historienne, comme s’il fallait écrire une thèse dont c’était le sujet. J’ai ressorti les livres d’Hannah Arendt, j’ai eu l’ambition de relire des textes et d’assister aux conférences organisées pour marquer ce cinquantième anniversaire. Mais je n’ai rien fait, à  part aller voir l’exposition « Juger Eichmann » au Mémorial de la Shoah.

Là, je suis restée longtemps à regarder les extraits filmés du procès de 1961, et notamment les témoignages des déportés.  Un père de famille y raconte qu’il a été séparé de sa femme et de ses enfants à leur arrivée à Auschwitz. Il les a vues s’éloigner vers la chambre à gaz, repérant sa petite fille dans la foule grâce à son manteau rouge. Ce petit point rouge s’éloignait de plus en plus et ce fut la dernière image qu’il eut d’elle. Ce témoignage inspira Steven Spielberg dans La Liste de Schindler.

Quelques jours après cette visite au Mémorial, nous avons fêté les cinq ans de  ma fille et je lui ai  offert une robe rouge achetée de longue date. Le rouge est sa couleur préférée. Le lendemain, elle a étrenné la robe qui lui va à ravir. C’était une belle journée d’été qui s’est terminée dans un square. Assise sur un banc, je regardais mon enfant courir et jouer. Au lieu d’éclater de joie, je me suis mise à pleurer. Le  nom d’Eichmann charrie beaucoup de sanglots.

©Galith Touati


Galith Touati est historienne de formation. Depuis 2004, elle est responsable de la communication et des actions pédagogiques de Yad Layeled France. Cette association conçoit des ressources pédagogiques pour enseigner l’histoire de la Shoah à l’école primaire à partir du CM2, et soutient en France le Musée des combattants des ghettos – Beit Lohamei Haghetaot.

 

     
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