Nouveau scandale alimentaire : derrière le porc et la truie, cherchez les maquereaux!

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Dans le cadre du Billet de l’invité et de ma rubrique KO, Kef Opinion, je relaie un texte brillant de Maître Anne-Judith Lévy, avocate spécialisé en propriété intellectuelle (droit d’auteur, droit des marques, droit des nouvelles technologies), en droit de l’audiovisuel, de l’édition et de la presse, et en droit du travail.

Nouveau scandale alimentaire : derrière le porc et la truie, cherchez les maquereaux!
On a beaucoup glosé ces derniers jours sur l’immoralité de « Belle » et depuis près de deux ans maintenant sur celle de Bête, réelle ou supposée car bien que relaxé des faits de viol et d’agression sexuelle et présumé innocent, Bête reste à ce jour au vu et au su de tous sous le coup d’une incrimination pour proxénétisme dans l’affaire dite du Carlton de Lille.
Rappelons que le proxénétisme, c’est notamment au sens des dispositions du Code Pénal « le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui ; de tirer profit de la prostitution d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution ; d’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle se prostitue ou continue à le faire. »
Couvrant des situations très variées qu’on a selon le cas du mal ou toute facilité à imaginer ce qu’elles recouvrent, notre système répressif envisage le proxénétisme aggravé «puni de dix ans d’emprisonnement et de 1500000 euros d’amende lorsqu’il est commis notamment (…) à l’égard d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à (…) une déficience physique ou psychique (…), est apparente ou connue de son auteur ; (…) par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions; (…) Avec l’emploi de la contrainte, de violences ou de manoeuvres dolosives ; Par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice, sans qu’elles constituent une bande organisée (…) ; »
Du fait du secret de l’instruction, l’auteur de ces lignes n’a aucun idée ni du contenu du dossier le concernant, ni des dispositions précises qui s’appliqueraient à Bête, mais émets -et c’est un point de vue aussi personnel que juridique- toutes réserves sur sa culpabilité en raison de l’exigence d’interprétation stricte du texte pénal appliqué à son « activité » que la presse ne nous a pas permis d’ignorer.
Elle s’étonne pourtant de l’absence de déclenchement d’une action publique sur le fondement des dispositions précitées à l’encontre précisément des «employeurs» de Belle, dans le secteur de l’édition ou de la presse justement.
Rappelons que la prostitution dans notre société est une activité libre ne constituant pas un délit. Le seul bémol c’est lorsqu’elle porte atteinte à l’ordre public, circonstance dans laquelle elle encourt deux types d’incriminations.
La première est une infraction de droit commun qui ne lui est pas spécifique : il s’agit de l’outrage public à la pudeur, incriminé sous la qualification d’  » exhibition sexuelle  » qui suppose la réunion de trois éléments : l’acte matériel d’  » exhibition sexuelle  » lui-même, le fait qu’il ait été commis en public, et la conscience d’offenser volontairement ou par négligence la pudeur publique.
Dans son ouvrage que nous ne lirons pas, Belle fait-elle de l’exhibition sexuelle un acte commis en public avec l’intention affichée d’offenser la pudeur publique? Si elle semble être parvenue à ce résultat au-delà de ses espérances, s’agit-il à proprement d’exhibition sexuelle? Belle n’entendant procéder qu’à l’exhibition du sexe et de la sexualité d’un tiers, l’interprétation stricte du Code Pénal nous interdit cette analyse.
La seconde est le racolage qui pour le nouveau Code pénal n’est que  » le fait, par tout moyen, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles  » et le punit d’une contravention de 5ème classe.
D’une part, on n’est plus dans le délit, mais dans la simple contravention, et d’autre part, la matérialité de l’infraction ne fait-elle pas défaut, lorsque que Belle avoue : « il m’a fallu te faire croire que j’étais éprise de toi, que j’étais folle de toi. Et puis que j’avais mon coeur meurtri, que j’étais jalouse et tout ce que tu sais ?» Il n’y avait apparemment rien de public dans cette duplicité désormais avouée.
Si ce n’est même pas du racolage, il nous semble en outre que le mensonge et la duplicité en matière sexuelle ne font pas l’objet d’une incrimination.
On connaissait l’adage ancien de Loysel, jurisconsulte du 16e siècle : « En mariage, trompe qui peut » – signifiant que le mariage ne peut être annulé pour dol car la séduction peut constituer une publicité certes trompeuse mais légitime -, on apprend aujourd’hui que « En sexe, trompe qui peut » également, comme en mauvaise littérature.
La loi pénale étant d’interprétation stricte, on retiendra néanmoins qu’une prostituée généralement n’avance pas masquée. Or, en l’espèce Belle prétendant avoir été contrainte de « faire croire », est allée au-delà de la prostitution.
S’est elle comportée comme un escroc, c’est à dire comme quelqu’un qui « par l’usage (…) d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manoeuvres frauduleuses, est parvenue à tromper une personne physique et l’a déterminée ainsi, à son préjudice (…), à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ? »
Malgré l’amusante ambivalence des termes employés, faisant penser à de vieilles blagues de salles des pas perdus, on ne saurait non plus retenir Belle dans les liens de cette infraction…
Notre démonstration, on l’aura compris, ne s’arrête pas là : il apparaît qu’il n’est nullement nécessaire de qualifier pénalement l’acte de prostitution – car ce n’est précisément pas une infraction pénale – pour qualifier le proxénétisme.
Or, lorsqu’elle écrit ce fameux mail à sa victime, Belle ne lui avoue-t-elle pas qu’elle s’est laissée «… entraîner d’une manière un peu légère dans un projet te concernant auquel je n’aurais pas dû participer. Les gens avec lesquels j’ai travaillé m’ont un peu dégoûté après coup parce qu’ils se sont servis de moi comme d’un instrument pour te nuire.(…)?
Ainsi, donc, Belle a travaillé pour des « gens » ?
Ils semblent en effet nombreux, sans pour autant constituer une bande organisée, ceux qui vont tirer profit de la prostitution de Belle et en partager les produits après s’être servis d’elle comme d’un instrument. Car de quel type de travail s’agissait-il donc, qu’on soit obligé de le voiler sous l’hypocrite prétexte de la liberté d’expression et sous celui non moins tartuffe de la littérature ?
Simplement de coucher avec l’objet de son étude afin de se documenter selon la technique bien connue de l’immersion, ou plus prosaïquement de feindre d’être amoureuse, d’avoir des rapports sexuels consentis et d’en tirer profit par la suite, en partageant le fruit de son larcin avec ses comparses ? Michel Wievorka a fort bien décrit le caractère malhonnête de cette recherche, nous ne le plagierons pas mais renvoyons à son analyse universitaire des plus pertinentes.  Nous nous contenterons d’observer que les commanditaires de la navrante exhibition de Belle ont bel et bien et de leur propre aveu à tous « embauché une personne en vue de la prostitution ».
« Mon livre sur ton affaire américaine je l’ai écrit parce que ce sont eux qui me l’ont demandé. Le fait de chercher à te rencontrer était partie du même projet » avoue-t-elle en effet.
On l’aura compris, le « projet » de rencontrer Bête, cela signifie coucher avec lui. Coucher pour connaître, coucher pour comprendre, coucher pour entrer au plus profond de son intimité.
Or là où dans un processus où l’amour (c’est elle qui en parle) revient à une sanctification et une sacralisation de la vie, de celles qui ne s’ébruitent pas en place publique, Belle a voulu un processus où le profit, généré par le vacarme né de la violation de ce qui est éminemment privé, transforme la pulsion créatrice qui préside à la littérature en un morbide et grotesque jeu de dupes.  A qui profite ce crime-là ? Belle fait semblant d’en être également victime en dénonçant les vrais coupables lorsqu’elle écrit « Je ne veux pas ajouter cet aveu aux problèmes terribles que j’ai en ce moment à cause d’eux ». Souhaite-elle les faire tomber pour proxénétisme aggravé en édulcorant sa propre responsabilité, du fait d’une particulière vulnérabilité, due à une déficience psychique ?
Elle semble à ce point vulnérable en effet qu’elle écrit que « ce ne sont pas des gens méchants mais un peu inconscients et fous. »
Seul le juge pénal devrait pouvoir en décider, si le Parquet se saisissait de ce délit qui ne fait pas que frémir ou exciter le Boulevard St Germain. La truie n’a pas cette capacité de discernement et les maquereaux qui l’entourent, en faisant l’économie de la morale ont permis sans le savoir de relaxer le cochon des fins de toutes poursuites.
Car comme le disait Alphonse Allais qui ne pensait pas à l’ancien Président du FMI : « Le comble de l’économie : Coucher sur la paille qu’on voit dans l’œil de son voisin et se chauffer avec la poutre qu’on a dans le sien. »

©Me Anne-Judith LEVY 3 mars 2013

     
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