Mémoire du yiddish – Transmettre une langue assassinée

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Une note de lecture d’Esther Orner sur Mémoire du yiddish – Transmettre une langue assassinée, Rachel Ertel, Entretiens avec Stéphane Bou chez Albin-Michel

Depuis la sortie de Mémoire du yiddish, lu et relu, le livre se trouve sur ma table de chevet. Longtemps j’ai hésité à faire une note de lecture qui ne pourrait que réduire cette somme. Oui, je dis bien une somme. Toute une vie est contenue dans ces entretiens que je qualifierais d’emblée d’un passionnant dialogue entre le journaliste Stéphane Bou et l’écrivaine et traductrice Rachel Ertel qui a consacré sa vie à faire revivre le yiddish, langue assassinée.

Rachel Ertel n’a pas écrit son autobiographie, elle dit hésiter à dire Je. Elle ne l’a pas fait écrire par d’autres. On peut affirmer que le résultat de ce dialogue est une autobiographie de Rachel Ertel. 

Nous apprenons que née en Pologne avant la guerre, elle n’a gardé aucun souvenir d’enfance jusqu’à l’âge de neuf ans. Ses souvenirs commencent au phalanstère de la rue Guy Patin où artistes et écrivains du Yiddishland ont trouvé refuge après la Shoah et où ils mènent une vie culturelle passionnante avec peu de moyens.

Ses parents poètes et écrivains yiddish n’appendront jamais le français. Ils n’étaient pas attachés à la France, ils y vivaient comme ils auraient pu vivre au bord de l’Hudson. En revanche Rachel Ertel dont la langue maternelle est le yiddish tombera amoureuse du français dans lequel elle écrira avec bonheur et traduira de nombreux écrivains et poètes yiddish dont sa mère. Elle fera un détour mais qu’elle n’appelle pas détour par la littérature américaine qu’elle enseignera à la Sorbonne après son retour de New York. 

Elle a écrit un livre  Le roman juif américain où elle parle de cette école juive américaine dont les plus célèbres Bernard Malamud, Saul Bellow, Philip Roth, fils d’immigrés du Yiddishland tout en écrivant en anglais, gardent un rapport particulier à la langue de leurs parents et au yiddishkeit. Rachel Ertel rappelle que Cynthia Ozick nomme cette littérature qui appartient à la littérature global yinglish.

Si elle décrit la vie des Juifs dans son essai sur le Shtetel et dans Mille ans de cultures ashkénazes, c’est dans son livre « La langue de personne, poésie yiddish de l’anéantissement » qu’elle décrit ce qu’elle a appelé la langue assassinée. Sa démarche est liée à la Shoah. La disparition de cette culture et sa langue étant liée à l’extermination de ceux qui auraient pu la perpétuer avec les survivants du Hurben (mot en yiddish pour la Shoah) tels les poètes  Sutskever, Markish, Leivick, l’écrivain Leib Rochman et tant d’autres. Le titre évoque bien sûr  La rose de Personne de Paul Celan, Rachel Ertel  le revendique et elle ajoute : Mais la langue de personne signifie à mes yeux la surdité du monde et l’éradication du yiddish en seulement cinq ans. Des langues disparaissent dans l’histoire ou se transforment, comme les langues de l’Antiquité, le grec ou le latin. Mais le yiddish a été assassiné et ne peut se remettre de cet anéantissement. Une langue assassinée, je le redis, est bien autre chose qu’une langue morte et il fallait insister sur cette dimension. 

Rachel Ertel regrette qu’Israel ait rejeté le yiddish qui représentait pour le sionisme « la langue de l’exil » Elle estime que le yiddish aurait au moins pu être la seconde langue du pays. Personnellement je ne pense pas que cela aurait été une solution. Plus de la moitié des Israéliens ne sont pas originaires du Yiddishland. Je le pense malgré mon attachement à cette langue que je baragouinais avec ma grand-mère, Harédit, juive orthodoxe et dont j’aime dire, je l’avoue, par coquetterie, que lorsque j’écris en français je me traduis du yiddish que je ne connais pas.

Et pour conclure je reviendrai à cette idée d’autobiographie que je n’ai bien sûr pas inventée, mais que j’ai ressenti tout le long de ma lecture. Rachel Ertel ne dit jamais « Je » dans ses livres : Je suis incapable d’écrire une autobiographie. Et Stéphane Bou de rétorquer : Mais la première personne dans l’entretien que nous venons d’avoir même si je reconnais avoir eu parfois le sentiment de vous forcer à répondre et à vous faire violence porte une dimension autobiographique. Et je crois savoir que vous avez écrit une autobiographie, dont vous avez jeté le manuscrit.

Et Rachel Ertel d’acquiescer : C’est vrai j’ai jeté le manuscrit. Il faut croire que pour dire « je » il me faut un interlocuteur réel et non pas abstrait comme l’est un lecteur anonyme. Il faut croire que votre questionnement et votre écoute ont permis la formulation du « je ».   

©Esther Orner

     
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