Quand Israël rêvait – La vie de Rachel Bluwstein
Une nouvelle chronique littéraire de l’écrivaine israélienne de langue française Esther Orner sur le livre,
Quand Israël rêvait – La vie de Rachel Bluwstein, Martine Gozlan (Cerf, 2018)
Ce livre que j’attendais et qui tardait à venir est arrivé la semaine où nous lisions dans la Torah la Parachat Lech Lecha – Et Dieu avait dit à Abram : «Va pour toi de ton pays, de ton lieu natal et de ta maison paternelle et va au pays que je t’indiquerai.» (Genèse XII, 1)
Tout un programme que suivra Raya – Rachel et sa famille ainsi que d’autres personnages pour la plupart des Russes éclairés qui forment l’élite de la seconde Alyah qui ne comptait que quelques milliers de rêveurs : Nakdimon Altshuler, A.D Gordon, Hanah Meisel, Zalman Shazar, Moshé Belinson, Berl Katsenelson, et Uri Zvi Grinberg le seul venu de Pologne.Tous étaient intégrés dans leurs pays d’origine, dans sa culture, si ce n’était l’antisémitisme et les pogromes. Le Sionisme était censé résoudre leurs problèmes. Pinsker dans son Autoémancipation quatorze ans avant Herzl dit « Il faudrait être frappé de cécité pour nier l’évidence : les Juifs sont le peuple élu par la haine universelle.»
Martine Gozlan nous entraine dans un récit à la troisième personne, un bel exemple de ce que l’on nomme un narrateur caché, dans ce cas une narratrice cachée qui raconte la vie trop courte de Rachel Bluwstein (1890 -1931), première poétesse israélienne moderne appelée uniquement par son prénom Rachel. Ce n’est qu’au dernier chapitre Rachel au présent que la narratrice passe à la première personne et nous dévoile les raisons de son choix d’écrire l’histoire de Rachel et de son époque. Nous avons eu le loisir de découvrir le parcours qui mène Rachel à Deganiah, Kineret, Toulouse, oui en France, retour en Russie pour revenir en Palestine, à Tel Aviv à la rue Bograchov 5, malade de la tuberculose dans une petite chambre face à la mer. Elle sera enterrée à Kineret, en Galilée qu’elle aimait tant. « La Galilée est ce qu’il y a de plus important dans ma vie, ma chère Dvorah, je t’en prie salue Degania ! »
Une vie courte et riche. Passage du russe à l’hébreu, Rachel donnera chaque semaine des textes au journal Davar, écrira sur son amour pour la terre, ses amours et sur sa solitude.
Martine Gozlan me rafraichit la mémoire de ce que j’avais appris à l’école sur tous ces personnages qui parcourent la vie de Rachel et devenus depuis longtemps des noms de rues qu’il m’arrive de traverser car j’ai la chance d’habiter dans leur quartier. Mais surtout j’approfondis ma connaissance de Rachel. Sa rencontre avec Nachman Bialik « le prince des poètes », bien que tout diffère entre eux, est un morceau d’anthologie. Il se souviendra d’elle de sa solitude et de son talent.
En refermant le livre je ne peux m’empêcher de me demander si toutes les Alyah, vers la Terre promise jusqu’à ce jour sont si différentes malgré des conditions plus faciles que celle de Rachel Bluwstein et des pionniers comme il est dit dans le Psaume 126 quand « Dieu nous ramenait à Tsion, nous étions comme des rêveurs… »
© Esther Orner