Voici le texte de la conférence que j’ai prononcée au 11e colloque B’nai B’rith organisé par la Loge Francophone Robert GAMZON le dimanche 17 juin 2018 à Jérusalem dont le thème était « Les prochains 70 ans de l’Etat d’Israël ».

La culture israélienne en 2088

Je ne savais pas en acceptant avec enthousiasme de participer à ce colloque de la Bn’ai Brith sur Israël dans 70 ans tous les tourments que j’allais passer dans la préparation de cette intervention sur la culture israélienne en 2088.

Tout d’abord, dans une perspective purement égocentrique, j’ai réalisé que dans 70 ans, je serai morte et que le monde que je dois imaginer est un monde dont je serai absente. Perspective peu réjouissante.  Ensuite, le sujet que je dois traiter est celui de la culture mais la culture dépend de la société, de l’économie, du politique, de la place du religieux dans la politique, tous les sujets brillamment traités jusqu’ici, qu’il faudrait prendre en compte.

Enfin, dans 70 ans en 2088, ce monde et pas seulement Israël sera un tout autre monde. L’accélération du savoir, de la technologie, de la biotechnologie, du génie génétique, de l’intelligence artificielle est si rapide qu’il faut aller au delà de l’imagination et se livrer à un véritable et difficile exercice de science-fiction.

Comme je venais juste de lire le livre Sapiens de Youval Noah Harari, je me suis dit que je trouverai peut-être des pistes de réflexion dans son second opus Homo Deus où justement il s’interroge sur l’avenir de l’humanité. Petite parenthèse, c’est tout de même très intéressant de penser que c’est un Israélien formé à l’Université hébraïque de Jérusalem qui est devenu l’historien le plus lu au monde parce qu’il réfléchit sur le destin de l’humanité. Mais au lieu de me faciliter la vie, cette lecture a encore compliqué les choses.

Yuval Noah Harari écrit :

A moyenne échéance, dans quelques décennies, peut-être, le génie génétique et d’autres formes de génie biologique pourraient nous permettre d’apporter des altérations de grande ampleur à notre physiologie, à notre système immunitaire et à notre espérance de vie, mais aussi à nos facultés intellectuelles et émotionnelles.

Comment se projeter dans le futur en sachant que nos facultés émotionnelles et intellectuelles risquent de changer ?

Cette lecture m’a tout de même réconfortée. J’y ai appris que d’après des chercheurs comme Ray Kurzweil, d’ici 2045, la biotechnologie sera en mesure de prolonger la vie humaine et si les champions de cette thèse ont raison, peut-être ne serais-je pas morte en 2088 et peut-être même serais-je invitée au 81e colloque Bn’ai Brith à Jérusalem !

J’ai donc finalement abandonné la piste Harari et je me suis dit que pour pouvoir comprendre les changements qui pouvaient s’opérer en 70 ans, il me fallait prendre du recul et remonter 70 ans avant la création de l’Etat donc en 1878. Le hasard ou la magie du nombre 70, fait que l’année 1878 correspond à la création de la première moshava établie par des Juifs en Palestine alors sous domination ottomane, Petah Tikva, la Porte de l’Espoir, aujourd’hui la septième ville du pays. En 1878, nous sommes avant l’affaire Dreyfus, Herzl n’a que 18 ans, sa soeur Pauline vient de mourir et il n’a encore rien écrit. Par contre, les paroles de l’Hatiqva ont déjà été rédigées par Naftali Imber en Ukraine. Le chant portait le nom de Tiqvateinou et n’était pas encore l’hymne du mouvement sioniste puisque ce mouvement n’existait pas ni même le mot sioniste utilisé pour la première fois en 1890 par Nathan Birnbaum.

Est-ce que ces données allaient m’aider à me projeter 70 ans en avant en tenant compte de l’accélération du progrès et des changements scientifiques ?  Non pas vraiment. Mauvaise piste. Je l’avoue, je me raccrochais au passé pour ne pas me lancer dans l’avenir.

J’ai abandonné cette piste mais j’ai malheureusement continué ma stratégie d’évitement en cherchant une nouvelle inspiration dans le passé en relisant l’Altneuland de Theodor Herzl, Nouveau pays ancien. Je pensais que l’imagination d‘Herzl pourrait stimuler la mienne.

J’ai relu le livre et choisi cinq points, certains anodins. J’ai comparé ses prédictions avec notre réalité et imaginé ce qu’il y aura dans 70 ans sur les même sujets  :

De plus en plus nerveuse à l’approche de la date fatidique de la conférence, je me suis dit qu’il fallait emprunter une voie plus ludique, se lancer, ne pas avoir peur d’affronter l’avenir, et pourquoi pas créer un enchaînement de possibles, un enchaînement de si :

Dans 70 ans :

Finalement, je me suis dit que tant notre Histoire que celle du monde et de l’humanité pouvaient prendre de nombreuses routes et comme je ne suis pas prophètesse, je devrais simplement énumérer mes rêves. Tous les actes des hommes ont commencé par un rêve est l’une des dernières phrases du livre de fiction d’Herzl.

Voici donc une énumération non exhaustive de ce que je souhaite pour Israël. C’est une énumération optimiste comme je le suis toujours dans mon blog Kef Israël, et je m’inspire des paroles de Golda Meir : Le pessimisme est un luxe qu’un Juif ne peut jamais se permettre.

Et donc, en 2088 aussi, on aura l’impression comme aujourd’hui que dans ce pays, rien n’est fini ni figé et que tout est encore possible.

en 2088,  l’hymne national sera toujours l’Hatikva mais avec des paroles en plus pour que chaque Israélien s’y retrouve, qu’il soit Druze, Arabe ou Chrétien.

en 2088, A la suite d’Agnon, de Yoram Kaniuk, Haïm Gouri, Amos Oz, Aharon Appelfeld, A.B. Yehoshua, Orly Castel-Bloom, Zeruya Shalev, David Grosmann, Yaakov Shabtai, Yehoshua Kenaz, Etgar Keret et tant d’autres, des nouvelles générations d’écrivains inventeront d’autres formes d’expression et il y aura un renouveau extraordinaire. Je n’ai aucune idée, s’il y aura encore des livres-papier, le Kindle sera surement un support obsolète et je n’ai aussi aucune idée de ce qui viendra le remplacer mais je pense qu’on inventera encore des fictions et que le Verbe sera toujours aussi important.

en 2088, la merveilleuse poésie hébraïque, Avot Yeshurun, Yehuda Amihai, Rachel, Lea Goldberg, Zelda, Dalia Ravikovitch, Yonah Wollach, Haya Ester, Maya Bejerano, Agui Mishol ne sera pas oubliée et la poésie sera encore plus présente dans nos vies.

en 2088, le Musée d’Israël à Jérusalem sera toujours là et sa collection sera encore plus riche parce qu’on aura ausculté tout le pays avec une technologie non encore inventée et on aura retrouvé d’autres manuscrits de la mer Morte, d’autres vestiges du Temple, d’autres mosaïques de synagogues et d’autres figurines comme celle que l’on vient de découvrir près de Métula, une figurine en faïence d’un roi biblique non-identifié pour le moment.  Et pourquoi pas, on aura aussi retrouvé l’Arche mais sera-t-elle au Musée ou dans un 3e Temple ?

en 2088, en Israël, on continuera à entendre parler toutes les langues : à part l’hébreu, l’arabe, l’anglais, le français, le russe, l’amharique, le yiddish, l’espagnol, le chinois, l’hindi, le coréen et aussi     l’hébreu parlé avec des accents de toutes ces langues et Non! l’anglais ne sera pas plus prédominant que l’hébreu même si tous les Juifs américains viennent s’installer ici. Les tours seront encore plus hautes mais tout le monde se comprendra grâce à une puce informatique-traducteur automatique que l’on portera sous la peau.

en 2088, Yad Vashem et la transmission de l’histoire de la Shoah seront vivants. Il n’y aura plus de survivants de la Shoah et seulement quelques personnes auront connu des survivants, à moins que l’immortalité soit déjà acquise. Des jeunes inventeront d’autres manières de se souvenir et prendront le relais de la mémoire comme déjà aujourd’hui dans l’initiative de la Mémoire dans le Salon

en 2088, pour prendre le mot culture dans un sens littéral, on cultivera sur les toits de tous les bâtiments du pays des figues et des concombres, des tomates et des courgettes, la permaculture urbaine fera des miracles et l’air ne sera plus pollué.

en 2088, la création musicale sera variée et dynamique, on continuera à mettre en musique des textes bibliques ou des prières et je ne sais vraiment pas sur quel genre de musique. L’orchestre philharmonique d’Israël créé en 1936, fêtera ses 142 ans. L’art sera en plein essor. Bat Sheva et Ohad Naharin auront des successeurs de talent même si ce sont des Israéliens mi hommes mi robots ! L’une des caractéristiques de ces Israéliens mi hommes mi robots sera leur amour pour le chant ensemble comme le montre aujourd’hui le succès incroyable de Koolulam et des femmes bioniques se divertiront en dansant des danses folkloriques, des passions israéliennes par excellence..

en 2088, de nombreuses femmes israéliennes prendront la suite des Wonder Woman comme Gal Gadot, Golda Méïr, Ronit Elkabetz, Ada Yonat, Esther Orner, Gila Almagor, Netta et toutes les femmes israéliennes que j’admire. Elles seront plus nombreuses que les hommes à la Knesset et elles seront la majorité des intervenantes au Colloque de la Bnai Brith, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui.

Je crois – le houmous, le falafel, la tehina, la shakshuka et les bambas – éternels. En 2088, les Israéliens en mangeront toujours !

En 2088, les bougainvillées, les palmiers, la floraison au printemps, l’odeur des fleurs d’oranger et du jasmin nous raviront toujours.

En 2088, le cinéma et les séries israéliennes, sans doute pas sous ce format-là. comme Hatufim sur lequel est basé Homeland, Fauda ou la toute dernière When Heroes Fly בשבילה גיבורים עפים qui a été sacrée meilleure série aux Canneseries seront de plus en plus réussies et la fiction israélienne inspirera le monde. Dernièrement, un music-hall basé sur le film La visite de La Fanfare d’Eran Kolerin a remporté la majorité des Tony Awards aux Etats-Unis.

Avant 2088, Amos Oz aura enfin reçu le Prix Nobel de littérature à moins que ce prix n’existe plus, laminé par les scandales.

En 2088, la Start-up Nation qui est déjà aujourd’hui à la pointe de l’intelligence artificielle, de la robotique, de la monnaie cryptographique comme le bitcoin, du traitement du Big Data sera une société prospère capable de développer une culture foisonnante.

De la fondation de Petah Tiqva, en 1878, 70 ans avant la création de l’Etat, des paroles de l’Hatiqva écrites par Naftali Imber cette même année, c’est à mon sens l’espoir qui est le moteur de ce foisonnement culturel. J’espère, que dans 70 ans, la culture israélienne fera preuve d’autant de créativité, de curiosité, de dynamisme et de houtspah. J’espère que la culture israélienne continuera à provoquer, à critiquer avec audace et sans s’autocensurer la société dans laquelle elle s’épanouira et qu’elle aura plus encore développé cette faculté du peuple juif de transformer des idées en réalité.

©Rachel Samoul

Nous croyons dans le futur !

6 Responses

  1. Bravo Rachel ! tu t’es livrée à un exercice audacieux, inhabituel, innovant et décapant. Je ne vois pas qui aurait fait mieux que toi. Félicitations.

  2. Toujours un régal tes textes,malgré les grincheux qui existeront toujours dans 70 ans!.

  3. Je viens de ranger la bibliothèque de mon père (z.l.) et récupérer les livres de Leon URIS: EXODUS, LE HADJ, une biographie de Golda MEIR, MASSADA, les guerriers de D.ieu. Mon père les a lu, je les ai lus, mes enfants et petits-enfants les ont lus….pourquoi je vous parle de tout cela. Parce que votre discours n’est que la suite de tous ces rêves (devenus réalité) qui peuplent ces livres….Je serai enterrée dans notre beau cimetière d’ETTENDORF (nous nous battons pour le conserver comme tout le patrimoine judeo alsacien)….Mais ISRAEL et ses enfants, j’en sûre – et ce n’est pas un rêve – continuera à etre à la « tête » des UEDMO qui verront peut-être le jour….des innovations, de la culture sous toutes ses formes etc…..parce qu’ils n’abandonnent jamais, grâce à D.ieu et sont le ferment du monde…..

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *