Golda Méïr et Nehama Leibowitz, deux héroïnes
Golda Meir et Nehama Leibowitz, deux héroïnes de mon adolescence
Golda Méïr et Nehama Leibowitz, deux femmes israéliennes d’exception, les héroïnes de l’adolescence de l’écrivaine Esther Orner qui partage avec nous un extrait de son tapuscrit inédit ‘Memories ou Mémoires d’une paresseuse 2’
Golda Méïr
J’ai la photo de Golda, comme on l’appelait, dans sa fameuse cuisine. Elle est dans la mienne qui refaite, il y a douze ans, a gardé le style d’autrefois.
Golda était Ministre du Travail pendant des années. Comme par hasard à Kefar Batia où nous avions une sorte de République des enfants dont j’ai fait partie deux ou trois fois, j’étais Ministre du Travail. Dans le gouvernement nous étions deux ou alors trois filles avec une majorité de garçons. J’étais surtout l’élue des plus jeunes. Je dressais la liste des travaux et lorsque certains n’étaient pas contents, ils me disaient que j’étais aussi laide que Golda, ce qui n’arrangeait pas mes complexes à ce sujet.
Il n’y avait pas la télé. Il y avait le journal parlé avant les films, les journaux papiers qui nous permettaient de connaître les personnes qui nous gouvernaient.
Il y eut aussi les célèbres grosses chaussures qui ont donné leur nom à celles que portaient les soldates « chaussures Golda » et puis ses fameux sacs. Moi non plus, je n’étais pas très douée pour les choisir. On se moquait de moi – encore un sac à la Golda.
Une photo où elle est la seule femme à la Knesset avec des bas de laine blancs. Elle était réputée pour son manque de goût. C’était aussi l’époque où l’on prônait la simplicité. Toutefois il y a des photos d’époque de femmes très élégantes. Disons qu’elle avait des choses plus importantes à régler. Sur une autre photo on la voit habillée avec les tricots d’Aled en grosse maille, très prisés à l’époque et qui n’existe plus. Elle a tenu très longtemps dans le paysage politique jusqu’à devenir notre grand-mère à tous. Elle a été fortement critiquée au moment de la guerre de Kippour. Le début a été catastrophique. En revanche l’issue fut une réelle victoire. L’on se devait d’être des héros et gagner les guerres en six jours sans victimes. Pour moi, cela ne changeait rien, elle restait l’héroïne de mon adolescence. Je regrettais bien sûr comme elle tous ces morts dont on aurait pu se passer. C’est à ce moment-là, que commença une contestation qui mènera à des changements politiques que les contestataires n’imaginaient pas. Il me semble que depuis lors le consensus national a été brisé.
Nehama Leibowitz
Nechama, comme on l’intitulait, fut pendant mon année la plus studieuse à Bait Vagan une prof hors pair. J’en ai eu beaucoup. A l’époque on était enseignant quand on avait la vocation. Ainsi à tous les échelons. Elle nous enseignait la Torah. Ses connaissances dépassaient tout ce que j’avais pu écouter jusqu’alors. C’était une savante. Elle nous fit découvrir les divers commentateurs et surtout Rachi. Très longtemps je continuerai à recevoir les cours de la section hebdomadaire, qu’elle me retournera par la poste comme à des milliers de personnes, corrigés à l’encre rouge.
Elle nous apprit aussi quelque chose qui resta ancré en moi. Pendant cette année studieuse qui nous préparait à l’enseignement, trois jeunes Tunisiens de petite taille sont arrivés du sud de la Tunisie, de Djerba. Ils parlaient parfaitement l’hébreu avec un accent bizarre. Le lendemain de leur arrivée le bruit courut qu’ils avaient dormi sur des matelas à même le sol et au petit déjeuner, ils demandèrent de l’huile pour leurs tartines refusant le beurre, le fromage et le lait. Nous les avions trouvé bien primitifs. Nous en fîmes des gorges chaudes. Dans la matinée eut lieu le cours hebdomadaire de Nechama Leibovitz. Elle posa une question, personne n’avait de réponse. L’un des trois Tunisiens se leva et sans hésiter répondit. Une conversation savante à laquelle nous n’avons pas compris grand chose se déroula entre l’ainé des trois et Nechama Leibovitz. A la fin elle nous dit que nous avions beaucoup à apprendre d’eux, plus qu’eux de nous. Après ça nous leur posâmes des questions sur leur ville et leur vie. Il ne nous restait plus qu’à leur demander pardon.
Plus tard j’ai rencontré pas mal de Tunisiens qui ne touchaient pas aux laitages. C’était leur tradition de ne pas avoir deux vaisselles, l’une pour le carné, l’autre pour le lacté et donc les laitages ne faisaient pas partie de leur menu.
Ni Golda, ni Nechama se revendiquaient féministes. Pourtant elles nous montrèrent le chemin.
©Esther Orner