Stefan Zweig et Theodor Herzl

StefanZweig

Le 22 février 1942, l’écrivain Stefan Zweig se donnait la mort au Brésil.

Le monde, ma propre langue est perdu pour moi. Ma patrie spirituelle, l’Europe, s’est anéantie elle-même. Il fallait à soixante ans des forces exceptionnelles pour tout recommencer à nouveau et les miennes sont épuisées par des années d’errance sans patrie. Aussi, je juge préférable de mettre fin, à temps et la tête haute, à une vie pour laquelle le travail intellectuel a toujours représenté la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême sur cette terre. Je salue tous mes amis ! Puissent-ils voir encore les lueurs de l’aube après la longue nuit ! Moi, je suis trop impatient. Je les précède.

La lettre de suicide de Stefan Sweig ainsi que d’autres de ses manuscrits se trouvent à la Bibliothèque Nationale d’Israël, הספרייה הלאומית à Jérusalem. 

Dans le Monde d’Hier sous-titré Souvenirs d’un Européen, Stefan Sweig(1881-1942) décrit l’Europe d’avant 1914 correspondant à l’époque de sa jeunesse, puis la guerre 14-18, l’après-guerre et le livre s’achève en 1939 lorsque la guerre est déclarée. Dans le chapitre Universitas vitae, il livre un portrait extraordinaire de Théodore Herzl, alors encore rédacteur en chef du journal la Neue Frei Presse à qui il apporte l’un de ses premiers textes:

« Je suis heureux de pouvoir vous annoncer que votre bel article est accepté pour le feuilleton de la Neue Frei Presse. » Ce fut comme si Napoléon sur le champ de bataille, épinglait à la poitrine d’un jeune sergent la croix de chevalier de la Légion d’honneur. Cela parait en soi un épisode sans importance, mais il faut être viennois, et viennois de cette génération pour comprendre quelle brusque ascension cette faveur représentait pour moi. Dur jour au lendemain, j’étais promu, dans ma dix-neuvième année , à une situation éminente (…) »

Voici encore quelques extraits mais je vous recommande vivement si ce n’est pas encore fait de lire  Le monde d’hier

« Theodor Herzl avait vécu à Paris une expérience qui avait bouleversé son âme, une de ces heures qui change toute une existence: il avait assisté en qualité de correspondant à la dégradation publique d’Alfred Dreyfus, il avait vu arracher les épaulettes à cette homme pale qui s’écriait: « Je suis innocent. » Et à cette seconde, il avait su jusqu’au plus profond de son coeur que Dreyfus était innocent et qu’il n’était chargé de cet abominable soupçon de trahison que parce qu’il était juif. Or Théodore Herzl, alors qu’il était étudiant, avait déjà souffert dans sa généreuse fierté d’homme du sort des Juifs. Bien plus, grâce à son instinct prophétique et à ses prémonitions, il en avait souffert par avance dans tout son tragique à une époque où le danger ne paraissait pas vraiment redoutable, (…)

Si nous souffrons d’être sans patrie, édifions nous une patrie nous-mêmes. C’est alors qu’il publia sa brochure, L’Etat juif, dans laquelle il proclamait que toute assimilation, tout espoir de tolérance totale était impossible pour le peuple juif. Il devait fonder sa nouvelle, sa propre patrie dans son ancienne patrie, la Palestine.

Herzl se leva pour me saluer, et j’éprouvai ausitôt le sentiment instinctivement qu’il y avait du vrai dans le surnom de « roi de Sion » qu’on lui donnait par moquerie: il avait réellement une apparence royale avec son haut front découvert, ses traits purs, sa longue barbe de prêtre, d’un noir presque bleuâtre, ses yeux mélancoliques d’un bleu sombre. Ses gestes amples, un peu théâtraux ne semblaient pas affectés chez lui parce qu’ils étaient conditionnés par une noblesse naturelle, et il n’y aurait pas eu besoin de cette particularité pour me le rendre imposant. »

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