Hommage à Henri Meschonnic

CONTINUUM est la revue des écrivains israéliens de langue française. Son numéro 5, pour l’année 2007/2008, a consacré à Henri Meschonnic un large dossier intitulé Henri Meschonnic et l’Utopie du Juif.

Henri Meschonnic est mort le 8 avril 2009. En hommage, je reproduis ici une partie de son entretien avec Esther Orner: Le Poème , un acte éthique

E.O. – Comment êtes-vous venu à l’idée de traduire la Bible ? D’abord les Cinq Rouleaux et maintenant le Houmach, travail qui renouvelle entièrement la conception de la traduction du texte biblique.

H.M. − Question difficile pour moi justement parce qu’elle m’engage du plus profond de mon histoire individuelle, avec mon enfance traquée pendant la guerre, et paradoxalement (je dis paradoxalement parce que la
Bible est un texte religieux et hyper-sacralisé) dans une famille non religieuse. Mais le besoin intérieur de réagir, et de me trouver, est passé par l’apprentissage individuel et tardif de l’hébreu biblique. J’ai dûcommencer vers vingt ans, je n’y suis vraiment arrivé qu’à vingt-sept, quand j’étais soldat dans la guerre d’Algérie. Je suis un autodidacte et un amateur, pas un professionnel. Je n’arrête pas d’apprendre. J’ai ressenti un choc très fort en découvrant l’original, par rapport aux traductions. Et surtout quand j’ai découvert la grammaire des teamim, je ne me rappelleplus où, mais par bonheur j’ai d’emblée trouvé mon système d’équivalences typographiques pour les trois forces des accents disjonctifs, dès la première traduction qui a paru, c’est Ruth, au printemps 1966, puis Paroles du Sage en 1968 et Le chant des chants en 1969, avant Les Cinq Rouleaux de 1970. Et j’ai continué d’apprendre, avec les Taamei hamiqra de Baruch ben Yehouda (1968) et les deux traités, en anglais, de William Wickes (Ktav, New York, 1970). La visée, je l’ai ressenti tout de suite, c’est de faire entendre le poème de l’hébreu et l’hébreu du poème.
Alors, si tout va bien, là j’ai fini Bamidbar, et je vais me mettre à Devarim, j’ai l’intention de traduire toute la miqra.
Et j’y ai appris des choses importantes, comme la différence entre le sacré, le divin et le religieux. Différence que ne font pas les religieux. Je définis le sacré comme le fusionnel entre l’humain et le cosmique, et incluant l’animal : le serpent parle à Ève ; le divin est le principe de vie (Genèse 1, 20-21) qui se réalise dans toutes les créatures vivantes ; le religieux n’arrive qu’avec vayiqra, c’est la ritualisation de la société (le calendrier des fêtes, les interdits, les prescriptions) et en tant que théologico-politique le religieux peut même être l’ennemi majeur du divin : on tue au nom de Dieu.
Et, ce qui a une importance telle que pour moi la Bible n’est pas une origine mais un fonctionnement, je trouve dans la Bible le fait, dès beréchit, que des mots abstraits comme « la vie » soient le pluriel du concret, « les vivants ». Je viens d’en faire tout un livre, où j’oppose le réalisme des essentialisations au nominalisme des individus d’abord.

E.O. – Je voudrais vous poser une question plus personnelle. Vous êtes souvent venu donner des conférences en Israël, qu’est-ce que ce pays représente pour vous ?
H.M. − Cela aussi c’est une question, je dirais à la fois facile et difficile. Une chose est sûre, c’est que pour moi ce n’est pas un pays comme un autre. Je m’y sens personnellement concerné. C’est un pays que j’aime, avec tous les problèmes qu’il porte, et le combat que cela suppose, contre toutes les formes d’antijudaïsme, d’antisémitisme, et la dénonciation à laquelle je travaille du nazisme dans l’islamisation du conflit israélo-arabe, et que le compassionnisme pro-palestinien ne veut pas voir. J’ai lu le livre de Yohanan Manor sur les manuels scolaires palestiniens, où on lit qu’on apprend à des enfants de trois ans comment faire un nez juif, avec le chiffre 6. Mon rapport à Israël implique pour moi un combat. Et pourtant, d’un autre côté, je ne suis pas en exil. Je ne
peux que terminer sur le dicton yidich, s’ez schwer tzi seïn a yid. Et c’est quand tout allait bien que mes parents disaient, miz doch in gouless.

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Lire l’article Pour saluer Henri Meshonnic sur le blog de Pierre Assouline