Hommage à Gitele, la mère d’Esther Orner
La mère de l’écrivaine Esther Orner est morte il y a 19 ans. Cette année les deux dates coïncident :
Le 10 octobre 1998 / Le 20 Tichri 5759
Après les onze mois de deuil, Esther Orner a eu envie de parler à sa mère. Elle l’a fait en suivant le calendrier hébraïque. Le résultat c’est son magnifique livre Fin &Suite publié en 2001 aux Editions Metropolis-Michèle Stroun. En hommage, je publie avec la permission d’Esther Orner deux extraits du livre.
Aujourd’hui c’est la pleine lune, le 15 du mois de Hechvan. Novembre. Un mois triste Gitele, ton prénom te va bien. Plutôt t’allait bien. De toute manière tu seras toujours Gittel fille de Rivka dite Gitele.
Aujourd’hui c’est la pleine lune. Le 15 du mois de Hechvan. Novembre. Un mois triste. Sans fête. Dieu merci tu ne nous as pas quittés ce mois-là. Tu as choisi, si on choisit, de partir au mois de Tichri. Octobre. Mois des grandes fêtes. Un Shabbat. Le samedi de la fête de Souccot, fête des cabanes où il est dit « Tu te réjouiras. » Coquine va. Tu remarqueras que je dis quitter, partir et ainsi je ne dévie pas de la norme familiale. Même quand on parle d’une certaine maladie, on dit la maladie. Même très avancé. Quatre-vingt-douze ans. Nonante-deux ans, c’est un grand âge. Peut-on dire pour autant que tu es morte d’une bonne vieillesse ? Que tu as bien vécu ? Peut-être pas. Mais c’est toujours mieux que de partir à la fleur de l’âge. Ca je ne l’aurais pas supporté et qui le supporte ?
Qu’est-ce qu’on dort mal les nuits de la pleine lune. Tout au long de cette nuit je me suis levée et recouchée. Je ne l’ai pas regardée ? Ce soir elle sera encore pleine. Puis elle ira en décroissant. Toi tu es partie lorsque la lune décroissait. Et ce matin je me suis mise à ma table pour te parler encore. Et où que tu sois que tu m’entendes ou pas je vais te parler.
(…)
Gitele, depuis des jours et des jours je recopie. J’ai la tête vide. Et l’esprit vain. Ne devrais-je pas te laisser tranquille. cette question me tourmente depuis le début. Parfois j’ai l’impression de transgresser. Un peu comme ceux qui invoquent leurs morts pour les faire apparaître. Pourtant je ne cherche qu’un dialogue impossible. Te prolonger encore par ces petits riens de notre pauvre vie. je repense à une phrase dite au moment de la mort d’une amie commune – on meurt une deuxième fois quand il n’y a plus personne pour se souvenir de vous.
Esther Orner