Un appartement au 5 Mevoh Yoram (2e partie), Esther Orner
Mon amie Esther Orner m’a donné l’autorisation de publier « Un appartement au 5 Mevoh Yoram », un texte qui est paru en 2013 dans le Continuum n°10, la Revue des Ecrivains Israéliens de langue française. Comme le texte est assez long, je le mettrai en ligne en trois fois.
Il me tient à coeur parce qu’il est question de Jérusalem et parce qu’il est dédié à Alain Sicsic, un ami cher qui nous a quittés le 3 avril 2023.
Voici la 2e partie. Pour lire la 1e partie d' »Un appartement au 5 Mevoh Yoram »
Mon roman avec la ville commence très tôt.
C’est lors d’un voyage scolaire à Jérusalem. Je suis dans le pays depuis deux trois ans. Je vis dans un village d’enfants situé dans la plaine, à Raanana.
Et curieusement c’est le YMCA face au grand hôtel King David qui me fera dire – quand je serai grande, je choisirai Jérusalem comme lieu de résidence. J’ai 14 ou 15 ans. Pourquoi ce lieu ? Peut-être parce qu’il me reliait à mes lieux d’enfance, à l’Europe.
Une ville ancienne. Une ville avec un passé. Dans la plaine, c’était le nouvel Israël avec sa nouvelle ville juive, Tel-Aviv, la blanche.
A l’âge de 17 ans je décide de quitter Kefar Batia, village d’enfant dans lequel j’étais depuis l’âge de 13 ans.
Un matin sans prévenir, je sors du village à l’aube. Je pars en auto stop à Jérusalem. J’arrive à Bait Vagan pour m’inscrire à un séminaire d’instituteurs et de monitrices en vue de travailler dans des villages d’enfants de l‘Alyat Hanoar, l’immigration des jeunes.
Bait Vagan qui veut dire Maison et Jardin avait encore un petit côté campagnard, qui justifiait son nom. Bait Vagan se trouve face au Mont Hertzl, loin du centre ville. Je rentre dans un jardin pas très soigné qui entoure une grande maison typiquement hiérosolymitaine, faite de grosses pierres de taille polies par les années. Je passe un examen, plutôt un dialogue et je suis aussitôt reçue au grand dam de la nouvelle directrice de Kfar Batia qui essayera de dissuader le directeur de m’admettre dans son séminaire.
Peu de temps après je quitte la plaine pour la ville dans la montagne. Les étudiants sont dispersés dans des maisons tout autour. La vie et les cours ont lieu dans la maison en grosse pierre de Jérusalem et dans son jardin.
Le séminaire dure douze mois, douze heures par jour. C’est l’année des élections pour un nouveau maire de la ville. Les discussions battent leur plein. L’immigration est importante en ces premières années des années cinquante. Il faut construire vite. On se met à construire en béton. Il faut arrêter ce qui pourrait défigurer la ville. Déjà Kiriat Yovel proche de Bait Vagan est toute bétonneuse. Si elle fait partie de la municipalité de Jérusalem, elle a plutôt une allure de banlieue. Pour la première fois et sans doute la dernière, je vais écouter un candidat pour défendre la cause d’une Jérusalem qui se doit de garder son unité architecturale. Je voterai pour Agron. Il a promis que toutes les maisons seront construites en grosses pierre de taille. Il sera le maire de Jérusalem. Pour moi une des caractéristiques de Jérusalem, c’était sa pierre. Bien plus tard je découvrirai que d’autres villes anciennes sont elles aussi construites dans cette pierre que j’ai tout de suite aimée. Aujourd’hui de nouvelles maisons sont bâties dans toutes sortes de matières, mais la façade est toujours de pierre sans doute moins épaisse. Grâce à cette pierre ancienne et les petites ouvertures lorsque l’on revenait d’un extérieur inondée de chaleur on était au frais. Jusqu’à ce jour dans ces vieilles maisons on peut se passer de climatiseur. Un ou deux ventilateurs feront l’affaire.
Tout en étudiant douze heures par jour nous trouvions le temps d’aller enseigner gratuitement l’hébreu à Kiriat Yovel, quartier essentiellement peuplé d’immigrants. Je ne me souviens plus du nom de cet homme d’un certain âge assez gras dont l’idéal était de propager l’hébreu. Il utilisait le mot « Implanter » la langue. Nous étions donc des pionniers. Il devait forcer la main à ces immigrants. Les obliger à apprendre. Je me souviens avoir enseigné à une Anglophone qui apparemment n’avait aucune envie d’apprendre la langue du pays. Plus tard quand je deviendrai professeur d’hébreu à l’Oulpan, j’apprendrai que les immigrants les moins doués sont les Anglo-Saxons. A vrai dire, ils peuvent se passer de la langue. Ils possèdent la langue universelle. Mais pour cet homme il fallait absolument qu’ils apprennent l’hébreu, s’ils voulaient s’intégrer au pays. Il n’avait pas tort. Et nous le suivions. C’était quelques années après la création de l’Etat d’Israël. Les années cinquante.
Je retiens aussi de cette aventure, les nuits froides et sombres de l’hiver hiérosolymitain. Les maisons en béton étaient dispersées. Ouvertes aux quatre vents. C’était pour moi la découverte de l’air de la montagne. Et jusqu’à ce jour, je vais rarement en hiver dans la ville de la montagne.
Plus tard étudiante, j’habiterai une de ces petites maisons en général divisées en quatre appartements.
Je me souviens aussi des longues promenades le Shabbat après midi qui consistaient à traverser La vallée de la croix pour arriver jusqu’au centre ville ou pour accompagner une ou peut-être deux étudiantes qui avaient la chance d’habiter Jérusalem. La plupart d’entre nous n’étions que depuis quelques années dans le pays.
Pour arriver à la vallée il fallait descendre de Bait Vagan, situé sur la crête. Et puis remonter jusqu’à Rehavia, quartier résidentiel peuplé essentiellement par ce qui était convenu d’appeler le gratin de la société israélienne quand elle n’était pas surnommée « Le sel de la terre ». Cette appellation a toujours lieu concernant des gens connus ou pas dans un certain milieu. On pouvait encore y croiser sans le savoir les Shoken, les Frenkel, Gershom Sholem et j’en passe.
Evidemment tout cela se faisait à pied. C’était Shabbat. Il n’y avait pas de communications. Et de toute manière nous étions religieux.
Eté comme hiver nous descendions et remontions cette montagne vide, aujourd’hui recouverte de nouveaux quartiers.
C’était loin, mais pas pour nos jeunes jambes. Et je n’ai pas le souvenir que nous étions particulièrement des sportifs. C’était aussi une manière de nous relier à la ville. Bait Vagan était malgré tout un quartier excentré et isolé. Et si aujourd’hui Bait Vagan est toujours éloigné du centre, il s’en est rapproché.
Jérusalem, et « autour d’elle des montagnes » s’est étendue après sa réunification en 1967, non seulement parce qu’elle a pris de l’ampleur et des allures de capitale, mais aussi à cause d’une loi parfois enfreinte qui empêche la construction en hauteur. Pas de tours en perspective.
Ces promenades nous menaient parfois jusqu’à Mamilla alors quartier pauvre. Et même très pauvre. Un quartier jouxtant la frontière jordanienne. Ces maisons délabrées ont été remplacées par des hôtels de luxe et un centre commercial avec vue imprenable sur la Vieille ville. Ce nouveau quartier par son luxe ostentatoire a fait couler beaucoup d’encre. Achevé, il n’y a pas longtemps, il attire un monde fou. Même un flash mob plein de charme a été fait dans son centre au milieu d’une foule immense et variée. Tout cela a pris la place d’un quartier qui n’existe plus comme souvent dans les grandes villes. Je pourrais chercher en vain la trace de cette école où j’ai enseigné deux ans. Ce qui était beaucoup lorsque je n’avais que vingt deux ans.
Nous aimions aussi mettre un pied au-delà de la frontière. Nous vanter d’avoir été en Cisjordanie ou encore lors d’une excursion dans le nord du pays à la frontière syrienne ou libanaise. Des enfantillages pour des adultes proches de l’adolescence. Je n’avais pas dix huit ans. C’était le temps d’une chanson très à la mode – Ho HaSela HaAdom, HaAdom « Ô le rocher rouge, rouge » une des merveilles du monde se trouvant en Jordanie. C’était un défi de s’y introduire. Il y eut des morts et la chanson fut interdite. Je ne serais pas allée jusque-là. Ni mes amis. Nous n’étions pas téméraires. Juste poser un pied au-delà d’une frontière invisible.
Ces balades sabbatiques ne se faisaient pas en groupe. A deux ou trois. Et pas tous les Shabbat. Le soir nous nous racontions nos aventures, nos découvertes dans la ville.
Est-ce depuis lors cet amour inconditionnel pour cette ville, ma ville ? Il y eut d’abord ce coup de foudre lors d’un premier voyage scolaire. Et puis l’année passée ài Vagan n’a fait qu’approfondir le sentiment d’appartenir à ce lieu qui après tout ne fait pas partie seulement de mon histoire personnelle. « L’année prochaine à Jérusalem » a commencé à se réaliser pour moi lors de l’année la plus studieuse de ma vie.
L’année s’acheva. Je fus mutée dans la plaine où je commençai ma petite carrière d’enseignante.
©Esther Orner
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