Jacques Schiffrin, Un éditeur en exil par Amos Reichman
Une chronique d’Esther Orner sur le livre d’Amos Reichman, Jacques Schiffrin, Un éditeur en exil
Préface – Robert O. Paxton, La librairie du XXIe siècle – Seuil
Ce livre passionnant que j’ai lu et relu est arrivé par la poste envoyé par une amie qui savait que j’apprécierai. En effet, j’ai une belle collection de La Pléiade que chaque année ma mère m’offrait pour mon anniversaire contre sa volonté, elle aurait préféré que je m’achète de jolis vêtements.
Ma première éditrice des Cahiers du Nouveau Commerce Marcelle Fonfreide connaissant elle-aussi mon attachement à La Pléiade m’avait raconté que l’inventeur de la collection était juif et qu’il fut déporté. Après la guerre il quitta la France. Son nom, peut-être « Lévy » ! Elle ne se souvenait plus très bien, son nom n’étant inscrit nulle part.
Le créateur de La Pléiade Jacques Schiffrin, originaire de Russie, né à Bakou, s’exila de son lieu de naissance, finit par s’installer en France, éprouva pour elle un amour sans bornes comme souvent les Juifs venus des pays de l’Est. Il obtient la nationalité française. Il fut indépendant jusqu’au jour où, pour des raisons financières, il fut racheté par les éditions Gallimard et devint le directeur de La bibliothèque de la Pléiade.
Puis la France fut occupée par l’Allemagne. Il fut congédié d’une manière brutale par Gallimard parce que Juif. Il se sentira trahi. Un second exil sans retour commença pour lui.
Comme toute bonne biographie, elle reconstruit tout un monde, une géographie, les milieux intellectuels, un foisonnement de personnages et d’écrivains qui ont compté tels Roger Martin du Gard, Gide, ses amis fidèles. A propos, mon premier livre acheté dans La Pléiade fut Le Journal d’André Gide, premier livre français publié dans sa collection qui débuta par L’as de pique de Pouchkine traduit par lui et André Gide.
Quatre chapitres parlants de la biographie de Jacques Schiffrin – Avant /Pendant /Après/ Trop tard.
Schiffrin exilé à New York travaillera, s’intégrera à sa manière sans jamais s’attacher à son nouveau pays que tant d’autres auraient aimé pouvoir rejoindre. Le rêve américain ne sera pas le sien. Le rêve français et l’Europe le seront jusqu’au bout. Il souhaitera y revenir tout en étant lucide et critique sur la catastrophe européenne. Ces lieux rêvés furent pour lui une douleur morale, une profonde blessure. Il finira par créer une maison d’édition très importante Le Panthéon avec Woolf émigré allemand ayant fui l’Allemagne nazie. Plus tard elle sera reprise par son fils André Schiffrin.
La maladie et une mort prématurée l’empêcheront de revenir en Europe :
« L’éditeur encore jeune – il a eu cinquante ans en 1942 – n’est pas en état. Mais il ne veut pas perdre espoir : « Oui, je me soigne et fais tout ce que je puis, pour pouvoir rentrer » insiste-t-il. A l’automne 1945, alors que New York se vide de ses exilés, l’envie de revoir Paris est plus forte que jamais : « Nous ne pensons qu’au retour ! » La maladie le cloue pourtant au lit. Il donne en 1946, de tristes nouvelles à Jef Last son ami hollandais, compagnon de voyage en URSS : « Que dire de moi ? J’ai vieilli de cent ans. Suis dégoûté à jamais ! Il y a de quoi, tu l’avoueras. Cinq années d’exil pour cent ans de vieillesse, et un départ que la santé rend de plus en plus difficile. »
Ce qui m’a frappé tout le long de ma lecture, c’est le style, l’écriture littéraire de l’auteur qui en tant qu’historien donne tous les détails et références sans jamais lasser le lecteur, bien au contraire il le captive.
J’ai arrêté de m’offrir des livres de La Pléiade à la disparition de ma mère en 1998. Ce matin à l’approche de mon anniversaire qui selon la date hébraïque a déjà eu lieu en lisant Le docteur Jivago de Boris Pasternak, je regrette de ne pas l’avoir commandé dans La Pléiade sur papier bible et couverture de cuir.
©Esther Orner