Claude Vigée, La Descente des corps (Yom Kippour 5752)

Ce poème de Claude Vigée (3 janvier 1921 – 2 octobre 2020) a été publié dans le n°2, 2003-2004,  de la revue Continuum, la revue des Ecrivains Israéliens de langue française.

La Descente des corps (Yom Kippour 5752*)

Quand je serais couché le front contre la pierre
demain sur les dalles de la maison de prière
où nous nous prosternons le corps dans la poussière
depuis trente-deux ans et quelques millénaires
ce matin dans Jérusalem encore noire de lumière,

je saurais une fois de plus ce que pèsent sur ma nuque les
nuages profonds du début de l’automne
et quelle force de surrection s’amasse au fond du coeur
pour jaillir au-dehors comme un palmier en plein désert:
source d’eau vive qui chante sur un lac de lumière
colonne de rosée affûtée contre le vent de l’aube –

souffle debout qui nous délivre et qui fait rire en nous
l’enfant de jadis, le petit être venu de la nuit,
marchant à travers le feu sur le sentier invisible
vers son lieu de légèreté qui est toujours maintenant
comme à l »heure de ma mort dansée sous le feuillage;

la liturgie d’ailes rouge et sombre des oiseaux de passage
déchire d’un seul jet les nuées de l’orage,
nos mains tendues d’aveugles tâtonnent en plein ciel
sans poser de questions ni de conditions vaines:

elles se rempliront de manne en cours de route
elles scintilleront de rosée et d’étoiles
lorsque nous serons devenus chacun
le prochain de son propre corps
et de celui des autres, dans le retournement
simple et miraculeux de l’exil en présence, même en mourant de soif dans l’attente du jour
musique soutenue, à travers le silence,

les yeux remplis de larmes à l’approche du père
et, dans notre abandon,
délivrés du désir :
l’humilité nous porte
plus haut que les étoiles, au coeur bleu de l’abîme.

Claude Vigée

*5752 est une année hébraïque qui avait débuté à la veille au soir du 9 septembre 1991 et s’est finie le 27 septembre 1992