Sortir, bien sûr par Esther Orner (1-6)

Une nouvelle rubrique dans Kef Israël : Esther Orner me permet de publier son dernier texte, « Sortir, bien sûr », en feuilleton bien que le mot feuilleton ne soit pas vraiment adapté à l’écriture d’Esther. Retrouvez-là chaque semaine !

Sortir, bien sûr

1. Il faut sortir et marcher. Si, si c’est important. Pourquoi au juste. Voir passer un camion, a-t-elle dit.  Des gens, des voitures, des bus ? Un camion a-t-elle précisé. C’est plus rare. Marcher et voir un camion passer. Mais aussi un camion arrêté. On le décharge. On le recharge. De la marchandise. Quelle marchandise ? Toutes les marchandises. Des fruits et légumes. Des meubles. Des joujoux. Et pas de gens entassés.

2. Tu épluchais des carottes, a dit l’enfant. Cet enfant même plus âgé et même quand il n’était plus un enfant, répétait – Tu m’as tout raconté quand tu épluchais des carottes. Tout ? Les méchants ont tué ton grand-père. Les méchants par excellence. Et que leur nom soit effacé à jamais. Cette phrase-là n’a pas été prononcée. Elle aurait dû. Et ils réapparaissent. Sous d’autres noms. Les mêmes reviennent. Et d’autres aussi. Plus jeunes. Bien sûr.

3. Deux jours de suite, a-t-elle dit, j’ai rêvé de longs couloirs. Un hôtel ? Un hôpital ? Pas du tout. Un couloir et des portes. D’abord une histoire de canne perdue et retrouvée face à une porte fermée. Ensuite un homme jeune et beau qui se demande de quel côté du couloir avancer. Il se trouve au début d’un long couloir illuminé par une lumière naturelle. Les deux rêves, la même nuit ? Non. Deux matins de suite au réveil. Il y eut d’autres rêves. Tous oubliés. Et l’homme jeune mort depuis si longtemps est apparu inquiet dans la lumière.

4. Sortir, a-t-elle dit. Et on a quoi raconter. Aussi derrière sa fenêtre. Ou de son balcon.  En se penchant un peu. A condition que les arbres ne vous empêchent pas de voir. En été ils sont plus touffus. Là, c’est l’hiver. Un doux hiver. Quelques feuilles sont tombées. Les branches sont élaguées. Il faut tout de même sortir. Et de loin un homme qui ressemble à un homme absent. Il s’approche. Non ce n’est pas lui. Leurs regards se croisent. Ils se sourient.

5. Chaque ville a ses quartiers. Différents les uns des autres. Et dans celle-ci que des rues. Quelle ville ? Celle-ci, a-t-elle dit. Et elle reprend. Dans celle-ci chaque rue est différente des autres. Une rue calme. Une rue encombrée. Une rue en construction. Une rue aux trottoirs trop étroits. Une rue sans magasins. Une rue avec… C’est comme ça dans chaque quartier. Et chaque quartier a sa particularité. Les rues aussi. Mais dans celle-ci, elles ne forment pas un quartier.

6. Comment est la mer ? Trop calme a dit le passant. Une mer calme. Pas un lac. Quelques vagues tout de même. Une mer intérieure. Trop calme a dit le surfeur, la planche sous le bras. Et il a continué son chemin. Il n’a regardé personne. Un passant. La mer est à deux pas cachée par des maisons. Cette rue aurait pu arriver jusqu’à la mer. Des immeubles ont été construits à la verticale.

©Esther Orner

Sortir, bien sûr par Esther Orner (7-13)

L’illustration est de l’artiste Colette Leinman et fait partie de sa série N’Hommades.