Madame Proust, une mère juive
L’écrivaine Esther Orner nous livre ici des extraits d’un texte inédit sur le livre Madame Proust, Evelyne Bloch-Dano, Grasset, 2004 faisant partie de son tapuscrit « La Lectrice de Soi », novembre 2004
Une énième biographie sur Proust ? Il y a eu celle de Maurois, puis celle de Painter, toutes deux disparues de ma bibliothèque. Il vaut toujours mieux relire La Recherche. Là c’est Jeanne Proust qui est au centre. Mais si elle est au centre c’est tout de même parce qu’elle est la mère de Marcel. (…)
La lecture d’une biographie bien faite et c’est le cas ici est toujours ludique. C’est le regard d’une femme d’aujourd’hui sur une femme d’un autre âge, femme intelligente, sensible et qui à défaut d’être un génie a contribué au génie de son fils. Comment ? Cela reste un mystère.
Ce que j’aime surtout dans une biographie c’est la description d’une époque. Je ne peux pas dire que j’apprends vraiment des choses concernant Proust que sans fausse modestie je connais assez bien, mais j’ai plaisir à découvrir le point de vue d’Evelyne Bloch. Un point de vue fait de discrétion et d’un grand respect pour l’œuvre et pour Madame Proust. A la page 181 je lis “Nous élevons nos filles comme des saintes et nous les livrons comme des pouliches” cette phrase de Georges Sand vaut pour des jeunes-filles du 19e siècle. Jeanne n’échappe pas à la règle. On ne trahit pas un secret d’alcôve.”
Les citations sont rarement tirées de La Recherche. Par contre elle cite abondamment Jean Santeuil. Je le devine à chaque fois. Et comme je n’ai pas lu Jean Santeuil j’y arrive par élimination. Je ne me trompe pas et j’en suis très fière. Jean Santeuil est certainement plus une mine pour le biographe que La Recherche très transposée et sujette au point de vue du Narrateur. Avec Jean Santeuil c’est une banalité de le dire, Proust n’aurait pas été Proust. Tout au plus et je le dis sans mépris Anatole France qui a bercé mon enfance. Je ne peux que constater une fois de plus que dans mon enfance on lisait encore les même livres que Proust lisait dans la sienne.
Madame Proust n’a pas eu la chance de voir jusqu’où son fils en qui elle croyait est arrivé. “Quelle n’aurait pas été sa fierté de constater l’acharnement que mit Marcel à mener à bien son œuvre ultime. Et son désespoir de le voir y laisser sa vie. L’eut-elle permis ? Sa présence fut indispensable ; sa disparition peut-être tout autant.” – page 299
Evelyne Bloch-Dano démontre l’impact de la culture française dans l’assimilation des familles juives au cours de la Troisième République. C’est sans doute un des moments forts de cette biographie. Certes comme nous tous avec le temps, elle a le recul nécessaire. Les femmes juives en voulant ouvrir toutes les portes à leurs enfants, surtout à leurs fils ont joué un rôle majeur dans cette assimilation. On peut se demander si c’est vraiment la mère qui transmet le judaïsme quand elle accepte de faire baptiser ses fils sans pour autant se convertir elle-même. La description faite de la famille Weill et de Jeanne plaide plutôt en faveur de cette transmission par la mère, même assimilée à la bourgeoisie.
La grande majorité “des Israélites français” même non pratiquants continuent à garder leur patronyme, se marient entre juifs, vont pour les grandes occasions à la synagogue et perpétuent leurs traditions. Jeanne Weill fait partie de la troisième génération dans laquelle il y a encore très peu de mariages mixtes. Et si Proust s’est souvent vanté d’avoir été baptisé, donc catholique par son père, il ne renie jamais ses origines juives par sa mère : Son attitude lors de l’affaire Dreyfus est indissociable de sa position de fils d’une mère juive et adorée. Elle n’exclut pas l’ambiguïté du regard qu’il porte sur les Juifs dans A la recherche du temps perdu. Ce regard critique et parfois ironique reflète exactement celui de Jeanne sur ses coreligionnaires. Mais juive elle était, et juive elle le resta. page 275 Elle pourrait dire comme Madame Straus qui resta elle aussi attachée à son appartenance juive J’ai trop peu de religion pour en changer. page 246
Et de conclure sur ce chapitre par une citation : En résumé les israélites français se voulaient juifs mais ils redoutaient qu’on le leur rappelle. L’affaire Dreyfus va s’en charger. page 278
N.B – La soirée de clôture de Livres en scène 6 à Tel Aviv s’est achevée par la lecture de Marcel Proust par Guillaume Gallienne de la Comédie française. Cela m’a donné l’idée d’aller à la recherche de ce texte dans mon inédit – La lectrice de soi. C’est aussi en hommage au capitaine Dreyfus dont la sculpture a été installée à Tel Aviv.
©Esther Orner