Mes rencontres avec Benny Levy, Esther Orner

En hommage à Benny Levy (28 août 1945, 15 octobre 2003), l’écrivaine Esther Orner nous livre ici des extraits d’un texte inédit sur le livre Etre Juif, Etude levinassienne, Benny Levy, Verdier faisant partie de son tapuscrit « La Lectrice de Soi »,  octobre 2003

Etre Juif, Etude levinassienne, Benny Levy, Verdier

Benny Levy est mort en pleine fête des cabanes, Souccot, fête de la joie. Son livre Être Juif à partir d’un article de Levinas publié peu de temps après sa mort sera couvert d’articles élogieux. S’il n’était pas mort, le livre aurait sans doute suscité de vives polémiques. Tant de choses sont remises en cause, même Levinas.

J’étais allée au Centre d’études levinassiennes acheter le second cahier, quelqu’un m’apostrophe – avez-vous acheté le dernier livre de Benny Levy ? Agacée, moi qui déteste mentir je dis oui.

J’achète et je lis mes livres quand je le désire. J’ai décidé de ne pas le lire. Je n’y ai pas échappé. Un ami qui a connu Benny Levy à qui je dis que je l’ai écouté deux fois avec un réel plaisir, mais le lire j’ai du mal, me l’explique et nous faisons un échange de livres, c’est une belle formule.  Le lendemain je m’y suis mise. Mais pourquoi cette difficulté à le lire, lui si clair lors de ses conférences. Peut-être sa trop belle écriture, par moment poétique surtout dans la préface et la postface. Je pense à Levinas. Au début je croyais que  j’avais du mal à saisir sa pensée or c’était son écriture poétique. Les Dalmas des Cahiers du Nouveau Commerce ne disaient-ils pas que Levinas était poète ?

Je me souviens de trois rencontres. La première c’est à Bar Ilan au cours d’un colloque en 1996 “Littérature et Résistance.” Je n’ai pas assisté à sa conférence car j’ai dû partir à un mariage. Je me souviens de lui debout dans l’allée, barbe et grande kippa noire et sa femme tout en blanc. Un murmure passe dans la salle – c’est le fameux Benny Lévy, alias Pierre Victor,  et son “retournement” de maoiste en Harédi, Juif très pieux.

Je viens de lire pour la première fois l’article publié dans les actes du colloque en 2000.  Sartre et la république de la nuit  Lendemain de guerre : un nom – celui de Sartre – désigne la rencontre de la littérature et de la résistance. Rencontre qui fait mythe. N’entendez pas fable, fausseté. Mais mythe, au sens du mythe d’Er dans le dixième livre de la république de Platon. La pensée claire s’arrache à la nuit (…) mais aussi elle se prolonge dans la nuit (…) le mythe suggère ;  adossé au logos, il donne à penser énigmatiquement.” p. 237.  Article court d’une lecture limpide.  Pour Sartre – Résister c’est choisir la souffrance, le martyr qui est témoignage. Plutôt mourir sous la torture que trahir. Sens de la responsabilité du résistant, tous égaux, donc démocratie. Mais dans  Morts sans  sépulture, la nuit s’épaissit,  le groupe tue celui qui sous la torture pourrait parler.

Je prends conscience une fois de plus qu’un livre ne sera lu que lorsque l’on en ressentira la nécessité. Chaque livre a son heure, pourrait-on dire, comme l’amour. “N’éveillez pas l’amour avant qu’il ne le veuille” – Cantique des cantiques  ou plutôt Chant des chants selon la bonne traduction de Henri Meshonnic.

La seconde rencontre bien que j’ai du mal à parler de rencontre si je n’adresse pas la parole au rencontré, c’était à l’Alliance française à Jérusalem. Il donnait un séminaire sur Sartre et Levinas. il était en train de créer une annexe pour doctorat de l’Université de Paris 7. Il faisait une comparaison entre le rapport des deux philosophes “à l’autre.”

C’était passionnant et bizarre de le voir dans son look harédi. Avec sa grande kippa noire, sa barbe noire, il paraissait plus adapté à une Yechiva qu’à un cours de philo. Et pourtant sa gesticulation, quelques expressions que je ne saurais relater trahissaient l’ex-soixante-huitard. J’ai regretté que le séminaire ait lieu à Jérusalem. Je n’allais pas m’engager à y venir chaque semaine – trois bus à l’aller, trois au retour. Et comme je suis sans doute une des dernières femmes à ne pas savoir conduire, mes virées à Jérusalem ne sauraient être hebdomadaires, mais plutôt ponctuelles.

La troisième rencontre qui cette fois en fut une, eut lieu à l’occasion de la sortie du  Meurtre du pasteur  au café du Montparnasse 53 à Tel Aviv. Le café n’existe plus. Benny Lévy savait que je possédais la transcription des cours sur la  Paracha, section hebdomadaire lue dans la Torah, que je suivais le samedi matin à l’Enio et que de mémoire je mettais sur fiche le dimanche matin. Il m’a demandé si je pouvais lui montrer les cours de Levinas. Comme j’habite à deux pas, je suis allée chercher mes classeurs. Et nous convenons de faire quelque chose ensemble. C’était le 24 février 2002. Et il me dit si nous n’obtenons pas la permission de publier quelques extraits des cours par les ayant droits, vous pourriez faire un texte  et si vous ne savez pas écrire, on pourrait le faire sous forme d’interview. J’aime beaucoup le “ si vous ne savez pas écrire” et je me garde bien de lui dire que j’écris et j’acquiesce. La dédicace contenait “ pour notre aventure commune,” et c’en est resté là.

©Esther Orner