Hanoch Levin ou la liberté d’expression

Un texte d’Esther Orner sur l’homme de théâtre Hanoch Levin, extrait de ses Memories 3 ou Mémoires d’une paresseuse.

Hier soir à la télévision israélienne un documentaire sur le fameux Hanoch Levin. Comme un cadeau ou plutôt une remémoration de notre retour en Israël en 1983 fin juin pour Jonathan et juillet pour moi. La première pièce que nous sommes allés voir à Jérusalem c’était Les plieurs de bagages que je traduirai pour le Cameri afin de justifier le salaire que Jonathan a continué quelques temps à percevoir quand il était déjà malade et qu’il ne pouvait plus travailler. J’ai dû l’écrire dans Memories 1. Hier soir  j’ai appris que dans cette pièce il y avait huit enterrements, des passages ont été lus. Je ne me souvenais de rien sauf que Jonathan en sortant du théâtre m’avait dit que cela pourrait lui arriver. Il souffrait déjà de l’estomac mais on ne savait pas encore que c’était « la maladie ».

J’apprends que… car je ne me souviens pas !  J’ai aussi perdu les manuscrits Les plieurs de bagages et Le marchand de capotes.  Ce dont je me souviens c’est que je n’avais aucune difficulté à les traduire. C’était encore l’époque où j’écrivais à la main bien que j’avais une machine à écrire. Il n’y a pas si longtemps que j’écris directement sur ordinateur. Au moins quand je voyageais je tenais des carnets de voyage.

Les parents de Hanoch Levin venaient de Pologne, pauvres comme Job. Ils habitaient dans le sud de Tel Aviv près de la gare centrale, à Neveh Chaanan, dans un minuscule appartement. Hanoch Levin ainsi que son frère sont nés et ont grandi dans ce quartier. Ses parents étaient religieux. Il accompagnait son père à la synagogue. La famille descendait du Rabbi de Kotsk ou de ses adeptes. Le pessimisme de ce rabbin était célèbre. Le père est mort quand Hanoch avait  douze ans et demi. Il l’adorait. Sa mère dut travailler et ils furent encore plus pauvres. Très doué on l’envoya dans un des meilleurs lycées religieux pour snobs où il ne s’intégra jamais. De ce lycée Zeitlin, au centre de Tel Aviv sortirent pas mal de célébrités qui quittèrent comme lui le monde religieux. Lui devint carrément communiste, antisioniste ou post-sioniste, comme on voudra. Des étiquettes ?

Son frère après son service militaire a travaillé au Théâtre du Cameri. Hanoch Levin alors âgé de 15 ans l’accompagna et fut impressionné par ce qu’il a vu. Plus tard il écrira et mettra ses pièces en scène. Il sortira de la misère tout en restant très attaché à sa mère et elle a lui. Il ira déjeuner chez elle et aucune gastronomie qui devait être déjà en marche de son vivant n’égalera le bouillon de poulet, avec sa viande « lessivée » et pour clore le repas la fameuse compote. Un de ses trois fils racontera que lorsqu’il apprendra la mort de sa mère il se roulera par terre en pleurant de douleur.

Je vois que je suis capable d’écrire ce matin ce que j’ai vu hier soir. Ma mémoire n’est pas si mauvaise que ça, mais cela ne m’empêchera pas d’oublier. Au moins mes Memories se souviendront.

Ce film comme un rappel de la mémoire de Jonathan. Il y a donc d’autres manières de commémorer le jour de la mort quand on est éloigné géographiquement. La dernière fois que j’ai été sur la tombe de ma mère c’était en 2013.

(…)

Entre temps j’ai vu un deuxième film sur Hanoch Lévin. Hanoch, le pacifiste. Il a été très critiqué. Ses pièces ont subi la censure. La Reine de la salle de bain a même été retirée après dix neuf représentations du programme du Cameri, menacé de perdre ses subventions. Dès la fin de la Guerre des Six jours il a pris des positions sans équivoque contre la guerre. Aujourd’hui il a ses adeptes et ses pièces politiques tels que Toi et moi et la prochaine guerre, Ketchup, Assassinat ne seraient plus censurées bien qu’elles sont loin de faire l’unanimité jusqu’à ce jour. C’est bien la preuve que les idées font leur chemin. Et les minoritaires en tous genres ne baissent jamais les bras. Ils savent que cela aboutira sous une forme ou sous une autre.

(…)

Je suis allée vérifier sur Wikipédia ce qu’il était dit sur Hanoch Levin et j’ai vu que les deux pièces que j’avais traduites avaient un titre différent et peut-être mieux que les miens lorsque j’étais tout au début de ma « carrière » de traductrice. Sur les valises et Marchands de caoutchouc. Ce dernier, ça se discute ! Et même le précédent. Pour Assassinat, Meurtres – je ne l’ai ni vue, ni lue.

(…)

Hier soir j’ai vu un quatrième épisode de la vie de Hanoch Levin. Il a arrêté de croire en Dieu à l’âge de 14-15 ans après la mort de son père. Le film s’attarde sur son athéisme qui était plutôt un règlement de compte avec Dieu. Lui en voulait-il qu’il n’empêche ni la mort, ni le mal ? Sans doute si on se réfère à ses dernières pièces. Et je pense à ma cousine Sonia qui à chaque coup de fil me parle contre dieu. J’ai dit à Maya, mon autre cousine que je ne l’appelais pas entre autre pour ça. Il y a deux jours je suis tombée sur une Sonia enjouée, heureuse dans son maison de retraite et à un moment elle a dit « Il » ne fait rien pour soulager les douleurs. Puisqu’il n’existe pas, que lui veut-elle ? Je n’ai rien dit. Je sais depuis notre enfance que la plus croyante de nous deux c’est elle. J’ai dû l’écrire ailleurs comment elle venait me voir pendant la guerre et m’incitait à prier D. pour que nos parents reviennent et moi du haut de mes sept ou huit ans je lui disais que cela dépendait des hommes, c’est eux qui les avaient envoyés au loin.

Pour en revenir à Hanoch Levin mort à l’âge de cinquante cinq ans il sera enterré dans le cimetière de ses parents sans doute selon les coutumes juives. Un de ses meilleurs amis a la naissance de son fils lui demanda si circoncire son fils, sans hésiter Hanoch Levin répondit  – quelle question, il est juif, non ?

Quelqu’un qui a été élevé dans une vraie laïcité ou tout simplement sans référence au religieux peut ne pas comprendre l’univers particulier ou plutôt des pans de la vie de quelqu’un élevé dans la religion et son Dieu contre lesquels, il se révolte.

 ©Esther Orner

 

Les liens vers les quatre parties du documentaire réalisé par Ran Landau, scénario de Sharon Karni, interviews par Roni Kuban :