Elle chantait Ramona, Henri Raczymow
Une note de lecture de ma chroniqueuse littéraire préférée Esther Orner !
Elle chantait Ramona, Henri Raczymow, Gallimard, 2017
J’ai d’abord rencontré l’essayiste grâce à Martine Leibovici qui lors d’un de ses séjours à Tel Aviv, à moins que ce soit lors d’un mien à Paris où nous avions l’habitude de nous offrir des livres, m’avait offert Le Cygne de Proust (Gallimard 1989) d’un grand proustien à une fan du cher Marcel.
C’est seulement en 2009, vingt ans plus tard que je rencontrerai Henri Raczymow à Tel Aviv. Et curieusement ce n’est pas Proust qui sera notre sujet de prédilection, mais nos origines communes, nos connaissances et amis communs comme il me l’a rappelé dans Continuum 10. Nous « lachonerons du ra » (dixit David C pour Gossip) avec un plaisir évident. Puis à travers nos livres nous nous connaitrons mieux. C’est le romancier que je découvrirai tout en lisant d’autres essais et romans – Courbet l’outrancier (Stock 2004) Ruse et déni Cinq essais de littérature (PUF 2011) et n’oublions pas Bloom et Bloch (Gallimard 1993)
Moi « enfant caché » et lui plutôt « deuxième génération » nous sommes des survivants qui recherchons nos racines de diverses manières. Et de même les générations à venir, Achkénazes ou Sépharades faisant déjà partie de cette histoire, se souviendront comme nous lors de la fête de Pessah, le soir du Séder, où il est dit que « Chacun doit se considérer comme s’il était lui-même sorti d’Egypte »
Dans Eretz (2010 ) consacré à son petit frère il affirme ‘ Par « retrouver mon frère », j’entendais : mettre mes pas dans les siens ‘
N’est-ce pas ce qu’il fait dans Elle chantait Ramona (Gallimard 2017), dans ceux de ses grands parents, de son père et de sa mère ? Il le fait également dans Te parler encore (Seuil, 2008) où il s’adresse à son père qui vient de mourir. Dans Heinz dont il porte le prénom Heinz/ Herchel, en français Henri, il va à la recherche d’un oncle déporté à 19 ans qu’il n’a pas connu, frère de sa mère. Il s’agit toujours du même souci : parcourir la vie de ceux qui ne sont plus.
Dans Elle chantait Ramona, le centre c’est Belleville, loin des beaux quartiers de notre cher Marcel. On remonte et descend les rues de l’enfance dont il dresse la topographie avec précision. On se promène d’une rue à l’autre. Henri Raczymow cite le nom de rues comme ceux des personnes du quartier dans lequel ils ont vécu. Une manière de fixer la mémoire des lieux.
Il y a bien sûr la belle langue française qui intègre un langage populaire celui de Belleville et des mots de yiddish à comprendre dans le contexte, mots que je connais également tout en en ne sachant pas vraiment parler cette langue. Des chansons populaires traversent le roman et en vedette Ramona j’ai fait un rêve merveilleux.
Les personnages se veulent de vrais et bons Français. Ils donneraient leur vie pour la France. Toutefois en toile de fond la Guerre, la Shoah, Vichy. Des traces indélébiles. On n’oublie pas tout en regardant en avant et en rêvant d’un monde meilleur. Etienne le père du narrateur est communiste, vend l’Huma le dimanche, comme bon nombre de juifs venus de l’est, ayant quitté la religion juive pour une autre religion, le communisme. Ce qui ne les empêche pas d’être de bons juifs. Tout ça n’intéresse pas Anna, la mère née Dawidowich. Elle a d’autres ambitions. On découvre une belle personne attachante qui sait ce qu’elle veut et y arrivera.
Les parents du narrateur s’entendent bien. Henri adore ses grands parents chez lesquels enfant il passait beaucoup de temps. Sa famille rêve qu’il devienne médecin. En revanche, personne ne rêvait qu’il ne devienne écrivain, ni qu’il écrive leur vie et la sienne. La plupart des faits ont été racontés à Henri Raczymow. Il invente des dialogues auxquels il n’a pas assisté, il prolonge les événements, construit et déconstruit les personnages que l’on retrouve au hasard des lectures.
Dans chacun de ses romans familiaux, il scrute un même monde disparu sous différentes facettes, dans lequel il met ses pas en approfondissant avec lucidité et distance ses origines et dont l’humour est une constance.
©Esther Orner
C’est plus fort que moi, je ne peux m’empêcher de vous faire écouter la chanson :