Avot Yeshurun, poèmes de Tel Aviv

J’ai assisté à un événement au Théâtre Tsavta à Tel Aviv pour marquer les 25 ans de la mort du poète Avot Yeshurun en présence de sa fille Helit Yeshurun, de poètes et de chanteurs, Carmi Zisapel, Shai Tsabari qui ont mis en musique certains des poèmes d’Avot Yeshurun. Un moment rare de poésie qui m’a donné envie de relire les poème d’Avot Yeshurun et d’en choisir un pour vous.

Yehiel Alter Perlmuter est né en 1904, un jour de Kippour, à Nezkhisch.  En 1925, il quitte sa famille pour la Palestine. Toute sa famille (à l’exception d’un de ses frères) sera massacrée à Belzec. En 1948, suivant un appel de Ben Gourion, il hébraïse son nom et il devient Avot Yeshurun, Les pères nous verront. Quelques jours avant de mourir, il est lauréat du Prix d’Israël de poésie que sa fille Hilit refusera de recevoir. Il meurt à Tel Aviv le 22 février 1992.

Il écrit en hébreu, un hébreu où s’entend la Bible et l’argot, le yiddish et l’arabe.

Il a publié dix recueils de poèmes  dont deux ont été traduits en français par Bee Formentelli qui a éprouvé pour Avot Yeshurun « cette « complicité de passion » sans laquelle, selon Yves Bonnefoy, il est inutile d’aborder la traduction de la poésie. »

Deux livres en français : La faille syro-africaine, Actes Sud, 2006

Trente jours, Editions de l’Eclat, 2016

J’ai choisi des poèmes qui ont un lien avec Tel Aviv où Avot Yeshurun habitait, 8 rue Berditshevski.

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J’ai abandonné un pays, j’ai abandonné une langue,
j’ai abandonné un peuple.
J’ai abandonné une ville. J’ai abandonné des Perlemuter juifs.
J’ai abandonné leur langue.
J’ai abandonné mon père, j’ai abandonné ma mère,
j’ai abandonné mes frères et ma sœur.
Et je suis allé en terre de Palestine tel-avivienne
et j’ai adopté un hébreu tel-avivrien.

Baluchons

Les lieux où nous avons vécu, les maisons que nous avons connues, les hommes qui nous ont été proches nous suivent en secret. C’est ainsi que la petite ville d’où je viens m’a suivi à Tel Aviv. Indulgente, la ville de Tel Aviv y consent. Elle a compris que tu aimes en elle des rues d’ailleurs, des coins d’ailleurs qui rappellent le passé. Et quand une vieille maison est détruite, ah, quel malheur, quelle honte ! Tel Aviv, ville sainte.

Berceuse pour le quartier de Nordia

Les bédouins venus de Pologne sans
plan préétabli se répandirent rue
Balfour face à Ohel Shem maintenant et sur
la pente face aux sycomores maintenant Nordia.

Et ils étaient dans des tentes et ils étaient dans des
cabanes et ils étaient dans des baraques.
Une poignée de porte largeur d’une porte te des toits.
Et des toits s’envolaient comme des gosses et se déguisaient.
Et l’été et l’hiver rue Dizengoff.

Puis alentour se dressèrent des demeures princières,
et des maisons de cèdre s’étendirent sur les baraques.
Tel-Aviv, ville sainte, tu n’as pas
de berceuse. Hier, c’était.

En toi, j’ai marché toutes choses à pied,
comme le cheval mange à même la terre.
Et quelquefois je donne ma vie
pour chaque robinet oublié ouvert.

J’ai marché en toi dans la petite ville que j’ai abandonnée.
Dans ta ville à toi, dans ma petite ville à moi.
Ma petite ville qui est dernière ton dos
et moi-même, moi – tout ça jeté vers toi.

J’ai marché toutes choses en toi.
Primo, on a détruit la première maison.
Secundo, on a détruit la deuxième maison :
un bulldozer est arrivé, s’est rué sur la maison.

Des amis « que père avait achetés ».
Un jour je mets ma main sur son épaule,
et lui la main sur ta cuisse.
Ainsi te quittent tous tes amis.

Et dans la ville pas de funérailles pour moi sinon celle
d’Ahad Ha-Am, Bialik, Nordau – dont le nom atteste
l’existence du quartier qui porte son nom.
Car tu as broyé Nordia comme on écrase un testicule.

TEL-AVIV  SCENES DE GENRE

Rue Nahalat-Binyamin
avec la petite ombre.
Oued Nahal-Binyamin, très actuel devenu.

Et ça, je le rattache à M. Dizengoff, maire,
qui parcourait Nahalat-Binyamin sur un cheval jadis
comme je rattache mes semelles déchirées
à mes lacets de chaussures.

Dans le quartier Brenner, l’allumette du soleil
a brûlé une barque. Le gobe du soleil
habite là. Le loyer :
presque pour rien. L’essentiel : que j’y aie habité