Carnets de clandestinité, Moshé Flinker

Esther Orner a lu Carnets de clandestinité, Moshé Flinker, Bruxelles 1942-1943

Guy-Alain Sitbon a traduit et annoté  Les carnets de clandestinité de Moché Flinker écrits en hébreu à Bruxelles entre 1942 et 1943. Moché est un jeune homme de seize ans, né en Hollande de parents originaires de Pologne. Il est  particulièrement intelligent. Il connaît plusieurs langues. Il entreprend d’apprendre l’arabe car après la guerre il ira s’installer en Palestine sur la terre de ses ancêtres. Bref il a la vie devant soi.

J’ai la vilaine habitude d’avaler les livres que je lis.  Celui-ci je le lis par petits morceaux, une ou deux entrées à la fois en essayant de lire le plus objectivement possible car j’ai promis sans que l’on ne me m’ait rien demandé d’écrire quelque chose. Il est vrai que depuis des années j’attends de lire ce livre en français sorti en hébreu en 1958 publié par Yad Vachem selon les recommandations du grand Agnon.

Je suis comblée. La traduction coule de source avec ses notes en bas de page éclairantes et nécessaires.

Je mets de côté toutes les comparaisons que je pourrais faire avec mon histoire personnelle, pour mieux cerner le personnage et sa famille sans m’empêcher pour autant de me demander que font-ils encore à Bruxelles en 43 ?  Il y a le port de l’étoile jaune, les rafles, les dénonciations et les déportations. La mère dès leur arrivée à Bruxelles voudrait fuir vers la Suisse ou au moins vers la France en Zone libre. Ils en ont les moyens. Le père les retient. Il a des actions, des responsabilités – serait-ce ce qui l’empêche de partir ?  Moshé est désolé d’entendre ses parents se disputer à ce sujet. Lucide comme il l’est, il pense qu’il faudrait partir.

Ce jeune homme est très au courant de ce qui est en train de se passer, il lit les journaux. Il raconte ce qui sera révélé bien plus tard car « on ne savait pas », mais lui  savait.

Il s’interroge sur le sens de la souffrance, du mérite, du péché, de l’antisémitisme. Il est conscient que les Allemands avec leurs collaborateurs déportent les juifs non pas parce qu’ils sont en guerre avec eux, mais simplement parce qu’ils sont juifs.

Il est persuadé que si les Juifs s’en sortent ce ne sera pas grâce aux nations qui tiennent leur rôle pas toujours appréciable mais grâce à Dieu.

Moshe est un mystique rationnel qui se pose des questions  métaphysiques. Il a une foi indéfectible, non pas celle du charbonnier, une foi nourrie par l’étude de la Bible, du Talmud, des Psaumes, « par l’amour de la Torah, du peuple d’Israel et de la terre d’Israel. »

S’il ressent souvent un vide, l’espoir ne le quitte jamais même lorsqu’il ressent que l’étau se referme de plus plus en plus. Il a des projets d’avenir. Je le verrais bien géopoliticien. Il s’exprime avec aisance. Avec un réel talent.

Et je ne peux m’empêcher de penser aux milliers d’adolescents plein d’avenir qui ont écrit leurs journaux perdus. Ceux de Moché ont été retrouvés dans la cave de leur appartement à Bruxelles.

Déporté en 44 avec quelques membres de sa famille, il ne survivra pas.

J’oserais une question qui devrait rester silencieuse – Aurait-il gardé cette foi qui m’a interpellée tout le long de ma lecture ? Et je me revois du haut de mes douze ans demandant à ma mère comment elle pouvait croire en Dieu après Auschwitz me répondant comme à son habitude par un seul mot – Daveka, justement.

©Esther Orner

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