Guéoula – Tchernichovsky

A propos du projet Tel Aviv, en marchant, en écrivant

Et voilà que le doute me reprend. A quoi bon errer dans les rues de Tel Aviv pour écrire des chroniques historico-géographico-touristiques ? Cela doit être le syndrome de la trentième promenade. Je sais, le doute, c’est le diable. Le doute alimenté par les forces des ténèbres qui se pressent si nombreuses tout autour de moi, des murs de Facebook aux rues de Jérusalem. Les temps messianiques seraient-ils proches ? La rédemption au coin de la rue.  Pour me moquer de moi-même, je décide donc que cette promenade où je me sens quelque peu désabusée, débutera rue Guéoula. Une rue qui m’est sympathique et familière. Des maisons Bauhaus pas encore rénovées à côté d’autres qui l’ont déjà été avec plus ou moins de bonheur. Guéoula, une société immobilière de l’époque mais aussi et surtout rédemption en hébreu. Je pense à Franz Rosenzweig, ce médecin et philosophe allemand qui a longtemps hésité entre le christianisme et le judaïsme mais qui ayant eu une épiphanie à la fin de Yom Kippour 1913, a opté pour le judaïsme et a écrit son Etoile de la Rédemption dans les tranchées. Quelle étoile dois-je suivre ? Je commence ma marche au coin d’HaCovshim et me dirige vers Allenby. Premier arrêt devant le lycée. Lycée qui se transforme pendant les élections en bureau de vote où j’ai déjà eu deux fois l’occasion de me rendre. Le lycée Guéoula fut la première école de commerce de Tel Aviv. Des carreaux en céramique au dessus du porche l’attestent. On y enseignait l’arabe, l’anglais et le français, la correspondance, la comptabilité et à taper à la machine. On a ajouté par la suite un étage et un nouveau bâtiment au fond de la cour, puis on lui a accolé une aile. Shimon Peres y a étudié. L’histoire que j’apprend après coup donne du corps à ce bâtiment somme toute insignifiant. Je dépasse la poste puis l’Institut russe qui était autrefois, le français. Je croise une jolie femme enceinte.

Petit sourire devant le numéro 40. Pendant les années 50 et 60, il y avait là un bar où ont eu lieu les premiers stripteases de la ville. Mais une loi interdisait aux femmes de se déshabiller en public. Qu’à cela ne tienne, la belle française qui tenait le haut de l’affiche était en fait un transexuel.

L’agréable café Sheleg au numéro 44 au rez-de-chaussée de la maison Lifshitz à la belle façade décorée de grenades, une réalisation de l’architecte Alexandre Levi, l’architecte de la Pagode au parcours tragique : Berlin, Tel Aviv, Berlin, Paris, Auschwitz. J’observe la boutique du numismate du coin. Je me retourne et admire la vue sur la mer.

Je quitte la Rédemption, petit décroché et regard vers Allenby 54.  Une ruine qui a connu des temps meilleurs. La maison abrita des classes pour la Gymnasia Herzliya, l’hôtel Victoria dans les années 40 très fréquenté par les officiers britanniques puis le café Atara qui se trouvait d’abord au 43 Allenby. Devenu presque une chaîne avec d’autres cafés à Haïfa et à Jérusalem. J’ai beaucoup aimé celui de Jérusalem sur Ben Yehuda. Sa fermeture, après 58 ans d’activité, a provoqué la tristesse de beaucoup de ses fidèles et je me souviens encore des tables en formica crème, des bagels au saumon, plus précisément au gravelaxs, saumon mariné au sel et au sucre, et au fromage blanc que je prenais avec un café et de la bougonnerie très professionnelle des vieilles serveuses dans leur tablier marron.

Me voici dans la rue Tchernichovsky. Shaul Tchernichovsky, médecin et poète. Traducteur de l’Epopée de Gilgamesh, de l’Illiade et de l’Odyssée et de Goethe. Un poète qui vient de prêter son effigie au nouveau billet de 50 shekels. Au début de la rue, quelques bonnes adresses, le sabiah, le falafel, le restaurant Oasis vient de déménager, le poulet à emporter de Shimon. Petit passage obligé à la Zalmania où Ben, le petit-fils du photographe Rudi Weissenstein, fait tout pour que l’héritage photographique de son grand-père ne sombre pas dans l’oubli, pour que les images du Tel Aviv d’hier répondent à celles d’aujourd’hui. Dans la vitrine, des portraits des années 70 d’hommes et de femmes qui ont fait Israël. Je m’amuse à les identifier. Shimon Peres, bien sûr.

Je dépasse un grand chantier là où se trouvait un centre sportif de Maccabi avec des courts de tennis et un gymnase où mon intrépide Sarah avaient ses cours de judo. La rue devient palimpseste du passé. Elle est là comme elle est aujourd’hui mais dans mon esprit, elle porte les stigmates de son apparence passée.

De nouveau, une femme enceinte. Je trouve que je croise beaucoup de femmes enceintes, un effet du dur été que nous avons connu ? Je pense au poème de Tchernichovsky justement : Le mur miraculeux de Worms où une femme juive enceinte est poursuivie :

Dans leurs mains des lances de fer,
Leurs coeurs aussi – des coeurs de fer…
Aux sons du fer répond le fer…

Puisque le coeur de l’homme est dur,
Le mur de pierre aura pitié :
Un creux soudain s’y est formé.
La femme enceinte y est entrée.

O Worms, ville merveilleuse,
Le mur est toujours là debout,
On peut le voir et le toucher.

Sur le trottoir d’en-face, les bureaux de Mapa. La société israélienne qui fait des cartes. Plus loin, une volée d’escaliers, le passage secret qui mène à la rue Bialik. Une boutique de robe de mariées, Moni, le coiffeur. Voilà le Gan Méir et une belle rangée d’eucalyptus qui borde la rue. La place du Policier, Kikar HaShoter. Je traverse Bograshov. Sur la gauche, une rangée d’immeubles rébarbatifs à sept étages. Les habitants de Nordia ont été relogés là après la construction du Dizengoff Center. Une cité en pleine ville.

Le rythme de la marche m’a apaisé. Le doute a disparu. Je continuerai à marcher et à écrire. D’autres rues m’attendent.

La maison Lifshit, Gueula 44, Tel Aviv

La maison Lifshit, Gueula 44, Tel Aviv

 

gueoulamer

Rue Gueoula, vue sur mer

 

TSALMANIA

Vitrine de la Tsalmania, 5 rue Tchernichovski, Tel Aviv

mapa

Mapa, cartographe d’Israël

nordia

La cité Nordia

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Tel Aviv, En marchant, en écrivant : Marche n°30

Distance parcourue : 1 kilomètre

Date :  16 novembre 2014, 23 Heshvan 5775

 

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