On dirait la rue Sheinkin

J’ai, une première fois, fait cette promenade, rue Sheinkin, le 7 juillet 2014 avec l’intention de la rédiger les jours d’après. Mais la situation s’est détériorée et les promenades ont laissé place aux chroniques de la vie sous les missiles. Après une semaine dans le cessez-le-feu « illimité », j’ai refait la promenade. J’ai dérogé à mes principes en parcourant les deux trottoirs, de la rue Allenby au boulevard Rothschild et vice-versa.

La rue Sheinkin est plus qu’une rue, un concept. Je l’ai vue changer de personnalité au fil des années. Dans les années 70, c’est une rue vieillotte et peu fréquentée. Dans les années 80, elle est devenue la rue la plus populaire d’Israël. Une chanson du trio de filles Mango : Elle habite Sheinkin, boit au Café Tamar, veut faire un film, la consacre icône culturelle. Les paroles sont de Yossi Lapid, l’actuel ministre des Finances. En 2006, elle obtient le rôle principal dans le film La Bulle, une histoire d’amour entre un Palestinien et un Israélien sur fond d’Intifada. Aujourd’hui, elle s’est embourgeoisée, et encore plus depuis qu’elle a été réaménagée en 2012 avec une piste cyclable peinte en vert et de-ci de-là des fauteuils en vis-à vis, et elle est devenue un haut-lieu du shopping entre filles mais il y a encore des traces de son histoire.

La rue Sheinkin fait partie d’un petit quartier d’artisans et de petits commerçants, fondé par et pour eux, en 1913 avec l’aide de Menahem Sheinkin, qui prônait un sionisme urbain.  Il participa aussi au développement de la rue Allenby et fut actif dans la création du premier lycée au monde où l’enseignement était entièrement donné en hébreu, la Gymnasia Herzlya. C’est aussi lui qui proposa de changer le nom de Ahouzat Bayit en Tel Aviv, d’après le titre donné à la traduction en hébreu de Nahum Sokolov du livre de Herzl, Altneuland.  Il est mort en 1924 dans un accident de voiture à Chicago lors d’une mission sioniste.

Au départ de la rue, à l’angle de la place Maguen David, un excellent shwarma entre, d’un côté,  un magasin où l’on trouve des Converse à prix attrayants et de l’autre, des chapeaux bon marché. Je marche en essayant de ne pas succomber au lèche-vitrines. C’est difficile mais je résiste. Je croise la boutique de bonbons déguisée en pharmacie. Il faut pour acheter des bonbons une ordonnance. L’idée me déplait. Pour ne pas être happée par les devantures des magasins, bijoux, chaussures, vêtements, je regarde les façades sur le trottoir d’en-face.

Sheinkin 31. Je remarque pour la première fois les coeurs en laine de Maya Gelfman qui pendent au dessus de la porte d’entrée, l’ambiance sépia et la composition géométrique créée par les couleurs différentes, les détails de la corniche, les motifs du fer forgé de la balustrade, le bel arrondi de la fenêtre centrale, les volets en bois, la laideur aussi, avec les moteurs de l’air conditionné. Le jean qui sèche sur le balcon me transporte dans un western.

Me voilà boulevard Rothschild. Demi-tour sur le trottoir d’en face. Près du coin de Rothschild, l’ombre d’une feuille se balance sur un texte en hébreu.

Plus loin, le houmous A’kram, très bon et rendu célébre par le passage remarqué de sa propriétaire Futna dans la saison 2 de Big Brother, une émission de télé-réalité. En face, une jolie maison Bauhaus au volets jaunes à un étage et bleus à l’autre. Je passe devant le Café Tamar, au coin de la rue Ahad Haam. Créé en 1941 sous le Mandat britannique, dirigé depuis 1957 par Sarah Stern, surnommée la Shériff de Sheinkin. Le café est construit autour d’un arbre. Le tronc, au fur et à mesure des années s’est épaissi mais le temps, lui, s’est arrêté. Je pense à l’écrivain Yoram Kaniuk qui le fréquentait.

Orna et Ella, le restaurant aux murs dépouillés où on mange un délicieux gâteau au fromage et des beignets à la patate douce devenus mythiques.

Un peu plus loin, la belle boutique Sabon, qui présente les savons comme des friandises. Décidément, des savonnettes comme des mignardises, des bonbons comme des médicaments. Mélange des genres, ambiguité des apparences. Je me souviens d’un café, dans les années 80, appelé Keilou qui jouxtait le café Kazé sur Sheinkin où on faisait semblant de manger. D’après l’expression Kazé Keilou, des mots-vides, comme si, on dirait,  dont les adolescents israéliens ne peuvent se passer.

Au milieu de la rue, le jardin Sheinkin. Plus loin, un endroit charmant où acheter des jus de fruits à emporter, המיצים והעמיצים  que je traduirais par les Jus et les couraj(e)ux.

 

Sheinkin 31, Tel Aviv

 

facade bauhaus sheinkin

Maison Bauhaus aux volets jaunes et bleus

 

café tamar

Le café Tamar, rue Sheinkin, Tel Aviv

 

jardinsheinkin

Jardin Sheinkin

 

jusdefruits sheinkin

Les jus et les couraj(e)us

 

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Tel Aviv, En marchant, en écrivant : Marche n°25

Distance parcourue : 1 kilomètre

Date :  1 septembre 2014/ 6 Ellul 5774

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