En français, en hébreu, en yiddish?
Le mot de la fin
Est-ce la langue d’enfance, ne serait-ce pas l’enfance tout court? La langue n’étant que ce chercheur d’or qui, les pieds dans l’eau ou dans la boue, recherche les pépites de sa vie, souvent en vain.
Je suis l’enfant légitime du yiddish,
l’enfant naturel du français,
l’enfant adoptif de l’hébreu.
En français, les mots s’alignent
Sur la ligne de départ,
Dès qu’ils me voient, plume en main.
Ils connaissent le chemin,
Le devinent, ou à défaut, l’imaginent.
En hébreu, souvent,
Je cours après les mots
Et souvent je trébuche.
Et souvent, quand, à bout de souffle,
J’en attrape un
Souvent ce n’est pas le bon, ni le meilleur
Et elle me dit- en hébreu, c’est une femme-
Peut-être une prochaine fois,
En attendant, essaye ma sœur, voir ma cousine,
Voir sa voisine,
Toutes de bonnes familles, un même arbre,
Aux mêmes racines.
En yiddish, les mots gisent,
eux qui venaient de partout
ne vont plus nulle part.
Dans une boîte en fer-blanc, pendant longtemps,
J’amassais leurs dires, leur esprit, leurs anecdotes,
Leurs tournures savoureuses.
Elle explosait de joie, cette boîte en fer-blanc,
De rire, de dérision, de comédie humaine.
Elle me fut « auto-dafé », cette boîte en fer-blanc,
Corps et âme, par des voleurs d’âme.
Le français, c’était cette maîtresse qui,
Les samedis après-midis, avant les bons points,
Ouvrait son grand livre de lecture
Qui nous emportait bien loin, très haut, et même encore plus haut,
Dans un ailleurs inconnu.
Le yiddish, lui, attendait à la sortie, dans le froid, sous la pluie,
Me disant, dans ses yeux,
Que lui aussi était capable des mêmes prouesses.
L’hébreu, lui, m’attendait à l’entrée.
Je crois avoir reconnu le vieil Ecclésiaste,
Vieux mais jovial, malgré les rumeurs et les mauvaises langues.
J’ai reconnu Amos, le manant, qui, par ses mots
fit trembler le Temple, et en fut chassé
comme l’Autre après lui.
En embuscade, se tenaient les docteurs de la loi
Qui cherchent, dans les mots, comme on cherchait
Dans les entrailles d’un corbeau égaré sous la Rome impériale.
Mais, derrière eux, se poussaient, se pressaient une mer de mots,
Une montagne de mots, une masse mouvante,
Tous neufs, comme sortis du four,
Et la posologie disait: « à ingurgiter dans la journée, avant, pendant et après les repas, à doses gargantuesques,
Et même la nuit, dans les rêves.
Laissons donc le dernier mot, le mot de la fin
A cette langue dont je suis le fils légitime,
De cette langue dont l’écho lancinant et résiduel
d’un passé qui n’a fait que m’effleurer.
Quelque fois j’ai l’impression de l’écrire en français
Cette langue qui a su décrire la Comédie humaine au bord de l’abîme.
Je l’aime avec mes tripes, et comme on dit en yiddish,
Avec mes « kishkés ».
©Gadi Golan
suzy
Mai 14, 2011 @ 12:15:55
le poeme est tres beau et si joliement ecrit et si vrai.
sophie meyer
Juin 01, 2011 @ 10:50:58
Gadi,
Moi qui te disais hier que j’aimais la pantomime et que les mots sont souvent inutiles !!
Je parlais à un poète !! C’est un très beau poème !
Sophie
zelman annette
Sep 13, 2011 @ 13:03:43
Ma chanson préférée! Je l’ai apprise à la bibliothèque Medem où j’ai étudié le yiddish pendant quelques années. On chantait aussi. Les paroles sont poignantes et racontent bien la relation maternelle si particulière et si pesante aussi dans nos familles. J’ai envie de pleurer en l’écoutant. Apprenez le yiddish rien que pour cette chanson.