La Shoah et l’oeil de la caméra: Le Procès d’Adolf Eichmann par Michaël Prazan
Le numéro 8 de la revue Continuum, la revue des Ecrivains Israéliens de langue française est intitulé « Cinquante ans après le Procès ». L’une des rubriques est consacrée à La Shoah et l’oeil de la caméra.
Pourquoi j’ai réalisé Le Procès d’Adolf Eichmann
Le procès d’Adolf Eichmann me passionne depuis longtemps. J’avais lu Eichmann à Jérusalem, d’Hannah Arendt, au sujet duquel j’ai toujours émis un certain nombre de réserves. En premier lieu sur le slogan de la « banalité du mal » qui, mal digéré, interprété à tort et à travers, a trop souvent déformé autant la pensée d’Arendt elle-même, que la personnalité et le rôle d’Eichmann, ou le procès qui l’a jugé. J’avais lu les comptes-rendus de Joseph Kessel pour France-Soir et d’autres textes, mais surtout, j’avais déjà mis les mains dans les archives pour un film précédent, Einsatzgruppen ; les commandos de la mort, dans lequel j’avais inséré les bribes de ce qui restait du témoignage de Leon Wells.
A ce propos, le tournage du film sur le procès Eichmann m’a permis de comprendre pourquoi il reste si peu de séances « in extenso » en archives, alors que l’intégralité avait été filmée –de manière tout à fait remarquable par l’un des inventeurs du genre documentaire aux Etats-Unis, Leo Hurwitz, qui fut aussi le pionnier américain de la captation directe filmée par plusieurs caméras en simultané pour la télévision, toute chose qu’il applique au filmage du procès Eichmann. Lorsque je suis allé interviewer à Los Angeles le producteur Milton Fruchtman, celui-là même qui avait réussi à convaincre Ben Gourion de filmer ce procès, il m’a raconté qu’une fois le travail achevé, il s’était retrouvé avec une véritable montagne de cassettes vidéo représentant près de 2 000 kilomètres de bandes vidéo. Il lui était impossible de les entreposer où que ce soit. Après de nombreuses démarches, toutes infructueuses, une petite association juive américaine avait finalement accepté de les entreposer en dédiant l’un de ses locaux au stockage des cassettes. Sauf que (l’objet vidéo étant alors totalement inédit, et aucune disposition particulière ne réglementait sa conservation), cette association n’avait rien trouvé de mieux à faire que de les mettre à disposition de ses membres. Si bien que les gens sont venus emprunter les cassettes et ne les ont jamais rapportées. C’est la raison pour laquelle il ne subsiste plus désormais qu’un procès en morceaux. Tout le reste a disparu.
Pour autant, je n’avais jamais pensé faire un film consacré au procès d’Adolf Eichmann. C’est Annette Wieviorka, voyant approcher le 50e anniversaire de l’événement, qui m’en a soufflé l’idée. Ensemble, nous avons tout relu (les transcriptions des audiences, Face à la cage de verre de Haïm Gouri, plusieurs livres consacrés à la traque d’Eichmann, la biographie de Cesarani, les transcriptions du bureau 06 – la cellule d’enquête israélienne qui, pendant 8 mois, a préparé le procès, notamment par de très nombreux interrogatoires enregistrés d’Eichmann – etc.), nous avons brossé la trame et le chapitrage du film. Nous avons filmé la plupart des entretiens ensemble. Je voulais que les intervenants, triés sur le volet, à l’exception de David Cesarani qui apparaît dans le film en tant qu’expert historique, soient, chacun dans leur rôle, des acteurs de l’événement, et qu’ils nous le racontent de leur point de vue, au regard de leur expérience particulière et personnelle. J’ai ensuite visionné, décrypté, monté sur papier la centaine d’heures d’archives du procès que nous avions commandées après les avoir sélectionnées, puis ce fut l’épreuve du montage.
Ce que je voulais montrer à travers ce film, c’est que, d’une part, contrairement aux idées reçues, la Shoah ne s’est jamais posée comme une évidence ou un fait accompli, ni au regard de l’histoire, ni du monde, ni même d’Israël. Il a fallu un certain nombre de hasards, de contingences variées, et la volonté d’une poignée d’individus, pour que cela soit aujourd’hui le cas.
Autrement dit, avant le procès, peu ou prou, personne ne parlait de la Shoah. Pas même en Israël où les rescapés ont été ostracisés, si ce n’est humiliés. Selon les souvenirs d’un ancien diplomate israélien, les enfants ayant survécu aux camps de la mort, fraîchement arrivés et scolarisés en Israël, étaient appelés par leurs camarades sabras « les savons ». C’est dire le mépris et l’incompréhension dont ils ont pu être l’objet. Le procès Eichmann est l’événement qui va changer la donne.
Enfin, je voulais régler son compte à cette histoire de « banalité du mal ». Montrer le vrai visage de cet accusé hors-norme. Montrer d’une part qu’Israël s’était trompé en voulant faire de lui le principal responsable de la Solution finale (ce qu’il n’était pas), mais aussi qu’Eichmann est tout sauf un individu banal – d’une banalité qui le déposséderait de toute forme de responsabilité. De ce point de vue, je pense que le film montre clairement un homme tout à fait particulier, intelligent, retors, qui a bien préparé sa défense, qui est aussi un authentique criminel fanatique, sachant parfaitement ce qu’il faisait lorsqu’il se trouvait placé au cœur du processus génocidaire de l’Allemagne nazie.
©Michaël Prazan
benchimol alice
Fév 08, 2012 @ 04:15:15
transmission orale, transmission écrite ont toujours été le fer de lance de notre tradition. Grand mérite à tout ce qui entretient notre mémoire, afin que nul n’oublie ! afin de savoir tirer les leçons de l’Histoire…