Itinéraire insolite et impromptu vers Jérusalem
Dans le cadre de mon Billet de l’invité, j’ai le grand plaisir d’accueillir Daniel Saada, ambassadeur itinérant à Madagascar, DRC, Gabon et en République du Congo.
Itinéraire insolite et impromptu vers Jérusalem
L’avion va se poser dans quelques minutes à l’aéroport international du Fils du Lionceau (1), près de la Colline du Printemps-La Coquette (2), cette Barcelone de l’est de la Méditerranée, née de la jonction en 1950, entre la première ville juive des temps modernes avec l’antique port fondé, dit-on, 40 ans après le Déluge par Yefet, un des fils de Noé.
Nous sommes tout prêt de la Porte de l’Espérance (3), cité fondée en 1878 par des pionniers venus de Jérusalem, qui au départ avaient eu comme objectif d’accomplir la prophétie d’Osée dans la vallée de Jéricho : « Et de là-bas, je lui rendrai ses vignobles, et je ferai de la vallée de Akor une porte d’espérance, et là elle répondra comme au temps de sa jeunesse. » Le Sultan turc de l’époque leur ayant interdit le lieu, ils s’implantèrent alors près de la source du Verdâtre (4) pour y développer ce qui deviendra la 7ème ville d’Israël. Ce sont là les grandes banlieues de la métropole israélienne, aux côtés de Deux Côteaux (5), du Plateau du Jardin (6) ou encore de la Gloire du Sharon (7), avec plus au nord le Village de Grand-Père (8), cette localité où les forces du roi Hasmonéen Alexandre Jannée y avaient trouvé refuge face à l’offensive de la soldatesque d’Antiochos Dionysos (8000 hommes et 800 cavaliers, décrit Joseph Ben Matityahou -alias Joseph Flavius- dans sa Guerre des Juifs).
Remontons cette merveilleuse plaine du Sharon, aux travers des villages coopératifs qui l’essaiment, les Enfants de Zion (9) ou encore les Champs de Walburg (10), du nom d’Otto Walburg, 3ème Président de l’Organisation Sioniste Mondiale élu au Sixième Congrès de Bâle en 1907, village aux portes duquel se livra en 1948 une âpre bataille contre les forces irakiennes parvenues jusqu’ici pour tenter d’étouffer dans l’œuf le projet de la création d’un Etat juif indépendant.
Mais voici maintenant les falaises du kibboutz Monticules (11) , qui comme son voisin plus au Nord Champs de mer (12) doit son emplacement à sa position stratégique le long du littoral, bien utile aux heures de l’immigration clandestine pour y accueillir et cacher les nouveaux arrivants au nez et à la barbe des Anglais, qui n’avaient pas saisi, au départ, pourquoi la direction du Yishouv insistait autant pour obtenir d’établir de nouveaux kibboutzim le long des côtes…quelle idée!
En remontant toujours vers le massif des Vignes de Dieu (13), on traversera, la plupart du temps sans même s’en apercevoir le Pont sur le bleu (14), seul village arabe d’Israël situé en bord de mer, dont la légende rapporte – pour expliquer le teint particulièrement halé de ses habitants – qu’ils seraient les descendants d’esclaves soudanais en route vers l’Europe dont l’embarcation aurait échoué ici il y a plus de trois siècles.
Mais on peut aussi couper par le superbe Parc National des Hauteurs du Généreux (15) érigé en l’honneur de James de Rothschild, dont le souvenir est largement perpétué dans ces contrées qu’il a amplement contribué à acquérir, exploiter et fructifier. La localité de Mémoire de Jacob (16) toute proche, lui rend un hommage permanent. Et pourquoi ne pas s’y arrêter pour se désaltérer d’un délicieux Portail de Dieu (17), ce cépage blanc international aux flaveurs d’agrumes et d’épices dont on dit ici, que l’origine du nom n’est autre que Shaar Adonaï, et que ce sont les Croisés qui, l’ayant fortement consommé et semble-t-il apprécié, l’auraient introduit en Europe et notamment en Bourgogne et en Champagne.
On passera tout près du kibboutz de la Rade de Michaël (18 ) dont l’activité de pisciculture intensive a failli connaître la faillite du fait d’un record anodin dont cette région peut s’enorgueillir: c’est l’endroit du monde le plus survolé par les migrations d’oiseaux! En effet, Israël est situé exactement aux confins de l’Europe sur sa façade Est, au nord de l’Afrique et à l’extrême ouest de l’Asie. Ce qui conduit des dizaines de milliers d’oiseaux migrateurs chaque année à survoler la région au gré des saisons. Vous imaginez l’aubaine que représentaient les bassins piscicoles pour tous ces becs à nourrir… Le high-tech, une fois de plus, a résolu la question; des filets inviolables de matière plastique – produit par l’usine du kibboutz!! – permettant aux bassins de respirer mais dissuadant les oiseaux indésirables de picorer, ont été déployés sauvant ainsi l’activité économique du kibboutz (dont la moitié de la production de poissons rares est écoulée sur le seul marché japonais). Et pour ne pas porter atteinte à l’écosystème de la région, des bassins spéciaux ont été disposés, destinés à alimenter les oiseaux. Ainsi, on pourra observer le ciel rougeoyant de cette région qui prend des allures étranges lorsqu’un demi milliard d’oiseaux fuyant l’hiver européen font escale par vagues dans le nord d’Israël, transformant ce site naturel protégé en le plus grand carrefour de migration vers l’Afrique. Les ornithologues israéliens sont à l’affût car le phénomène est de taille : la traversée de cette région verdoyante par plus de 400 espèces connues qui se reposent quelques jours, voire quelques semaines avant de prendre leurs quartiers d’hiver en Afrique australe. Le spectacle relève du féerique. Des milliers de grues cendrées se hissent en tournoyant, ou encore des escadrons de cigognes majestueuses portées par les colonnes d’air chaud du haut desquelles elles se laissent planer pour descendre doucement vers les plaines de la Savane19 en route vers l’Afrique, Israël étant, encore un fait unique, le seul pays au monde à partager une frontière terrestre avec le continent noir.
Sur le chemin du Sud, elles survoleront le kibboutz des Champs du Cowboy (20), fondé par des volontaires texans qui s’étaient battus au cours de la Guerre d’Indépendance et qui rêvaient de créer un ranch en plein cœur du désert du Midi (21). Ce désert si cher à la vision sioniste du Père fondateur de l’Etat d’Israël. Il faut aller se recueillir quelques courts instants sur sa tombe aux côtés de celle de Paula Ben Gourion, son épouse, une crypte naturelle qui domine le oued du fleuve de la Vertèbre (22).
Il faut fermer les yeux et écouter Le Vieux (23) parler de sa voix lancéolée, un peu nasillarde et émoulue mais toujours subtilement claire, lucide et pénétrante:
Le désert nous donne la meilleure occasion de prendre un nouveau départ. Il s’agit d’un élément vital de notre renaissance en Israël. Car c’est en maitrisant la nature que l’homme apprend à se contrôler lui-même. C’est en ce sens, plus pratique que mystique, que je définis notre Rédemption sur cette terre. Israël doit continuer à cultiver sa nationalité et à représenter le peuple juif sans renoncer à son passé glorieux. Il doit gagner- ce qui n’est pas une mince tâche – un droit qui ne peut être acquis que dans le désert.
Quand j’ai regardé aujourd’hui par ma fenêtre et que j’ai vu un arbre debout devant moi, cette vision a réveillé en moi un sens de la beauté et une satisfaction personnelle plus grands que toutes les forêts que j’ai traversé en Suisse et en Scandinavie. Car nous avons planté tous les arbres de cet endroit et les avons arrosés avec une eau acquise au prix de nombreux efforts. Pourquoi une mère aime t’elle autant ses enfants ? Parce qu’ils sont sa création. Pourquoi est-ce que le Juif se sentent des affinités avec Israël? Parce que tout ici doit encore être accompli. Il ne dépend que de lui à participer à cet acte privilégié de la création. Les arbres de Sde Boker me parlent différemment que ne le font les arbres plantés n’importe où ailleurs. Non seulement parce que j’ai participé à leur plantation et à leur entretien, mais aussi parce qu’ils sont un cadeau de l’homme à la nature et un don des juifs au compost de leur culture.
Après tant d’émotion, l’on ne peut que remonter vers la Ville de la Paix (24), en passant par le Puits du Serment (25) ou encore le Puits des Sept cette ville fondée sur le lieu même où Abraham, pour départager les eaux du puits, formula un serment avec les serviteurs du puissant Abimelec Roi des Philistins, consacré par le don de sept brebis. Déjà le partage des ressources en eau était au cœur des débats…
Pour parvenir à la capitale d’Israël, vous traverserez sur la route des collines, l’Annonciatrice de Sion (26) citée dans la Bible comme étant le premier site, en venant de la Plaine, à partir duquel l’on peut apercevoir Jérusalem. Un site stratégique d’ailleurs car tous les conquérant s’y sont arrêtés en route vers la capture de la Ville Sainte comme en témoigne le village arabe tout proche de la Cité du 10 (27), dont les habitants seraient les descendants des légionnaires romains de la Xème Légion conduite par le Général Titus qui y avaient planté leur garnison ou encore celui tout proche de Colonne (28) dont le nom commémore les manœuvres des légionnaires romains, toujours en formations par colonnes.
Quelques siècles plus tard au même endroit ce sont les Croisés qui y feront halte, édifiant un fort baptisé Castellum Belvoir, promontoire destiné à dominer l’accès à Jérusalem. Au cours de la Guerre d’Indépendance, la prise du Castel marque une phase importante dans les combats destinés à percer le couloir montagneux menant à Jérusalem livrée au siège de la Légion Transjordanienne.
La route sinue, elle descend le long du village de l’Issue (28) dont le Livre de Josué stipule qu’il était placé exactement à l’issue des terres de Juda avant de pénétrer dans le territoire de Benjamin. Elle remonte vers la Colline de Saül (30) ce quartier périphérique de Jérusalem, pour parvenir enfin aux portes de la Ville trois fois sainte.
Comment ne pas penser aux mots de Chateaubriand qui découvre la ville: Tandis que Jérusalem sort ainsi du désert, brillante de clarté, jetez les yeux entre la montagne de Sion et le Temple et découvrez la Cité de l’Absolu (31).
Mais laissons-ici Alphonse de Lamartine (32), conclure avec nous cet Itinéraire Insolite et Impromptu:
Sur les bords de cet océan imaginaire, un peu sur la gauche de notre horizon, et environ à une lieue de nous, le soleil brillait sur une tour carrée, sur un minaret élevé, et sur les larges murailles jaunes de quelques édifices qui couronnent le sommet d’une colline basse, et dont la colline même nous dérobait la base : mais à quelques pointes de minarets, à quelques créneaux de murs plus élevés, et à la cime noire et bleue de quelques dômes qui pyramidaient derrière la tour et le grand minaret, on reconnaissait une ville, dont nous ne pouvions découvrir que la partie la plus élevée, et qui descendait le long des flancs de la colline : ce ne pouvait être que Jérusalem. Cependant nous nous en croyions plus éloignés encore, et chacun de nous, sans oser rien demander au guide, de peur de voir son illusion détruite, jouissait en silence de ce premier regard jeté à la dérobée sur la ville de ses pensées. C’était elle ! Elle se détachait en jaune sombre et mat, sur le fond bleu du firmament et sur le fond noir du mont des Oliviers.
Nous arrêtâmes nos chevaux pour la contempler dans cette mystérieuse et éblouissante apparition. Chaque pas que nous avions à faire, en descendant dans les vallées profondes et sombres qui étaient sous nos pieds, allait de nouveau la dérober à nos yeux : derrière ces hautes murailles et ces dômes abaissés de Jérusalem, une haute et large colline s’élevait en seconde ligne, plus sombre que celle qui portait et cachait la ville : cette seconde colline bordait et terminait pour nous l’horizon.
Le soleil laissait dans l’ombre son flanc occidental ; mais rasant de ses rayons verticaux sa cime, semblable à une large coupole, il paraissait faire nager son sommet transparent dans la lumière, et l’on ne reconnaissait la limite indécise de la terre et du ciel qu’à quelques arbres larges et noirs plantés sur le sommet le plus élevé, et à travers lesquels le soleil faisait passer ses rayons.
Nesia Tova!33
©Daniel Saada
1: Ben Gurion, Père fondateur de l’Etat d’Israël, né David Gryn, qui a choisi ce nom en référence à Yossef Ben-Gurion, leader de la révolte juive contre les Romains lors du siège de Jérusalem en l’an 69
2: Tel-Aviv-Yaffo
3: Petah Tikwa
4: Yarkon, rivière qui se jette près du Vieux Port de Tel-Aviv
5: Guivatayim
6: Ramat Gan
7: Hod HaSharon
8: Kfar Saba
9: Bnei Zion
10: Sdé Warburg
11: Shefayim
12: Sdot Yam
13 Carmel
14 Jisar a-Zarka
15 Parc Leumi Ramat Hanadiv
16 Zikhron Yaacov
17 : Chardonnay
18: Ma’agan Mihael
19: désert de la ARAVA
20: Sdé Boker
21: Néguev
22: Nahal TZIN en hébreu, en arabe, Wadi El-Pirka car les colines qui descendent de la mer Morte vers le cratère de Ramon le long de ce oued ressemble à s’y méprendre aux vertèbres d’une colonne vertébrale.
23: HaZaken, surnom donné à Ben Gourion par ses amis politiques à la fin de sa vie. Loin d’être péjoratif, il exprimait une forme de respect des jeunes sabras à leur ainé.
24: Yerushalym
25: Beer Sheva
26: Mevaseret Zion
27: Baith Ixsa rappelant le X de la Dixième Légion Romaine
28: Kalounia
29: Motza
30: Guivat Shaoul
31: in; « Itinéraire de Paris à Jérusalem » 1806
32: in, Alphonse de Lamartine, « Le voyage en Orient », 1832
33: Bon Voyage