J’opte pour la rue Bograshov avec l’intention de changer de quartier et de ne plus tourner
autour de la Tour Shalom et de l’ombre persistante de la
Gymnasia Herzliya mais, impossible d’y échapper. Il s’avère que Monsieur Haïm Bograshov (1876-1963) était l’un des fondateurs du premier lycée hébraïque où il a enseigné la géographie puis a tenu le rôle de directeur de 1919 à 1951 avant de devenir député.
Perpendiculaire à la mer, presque au centre de Tel Aviv, la rue Bograshov relie le
Gan London à la rue King George et au square
Solomon Mikhoels. Je marche. Arrêt au numéro 5 où la poétesse
Rachel a vécu ses dernières années et écrit ses plus beaux poèmes :
A mon pays
Mon pays, je ne t’ai pas chanté,
je n’ai pas écrit d’épopée
Pour glorifer ton nom, tes faits d’armes, tes trophées.
J’ai planté seulement de mes mains
un arbre – aux rives du Jourdain.
J’ai seulement conquis un chemin –
arpenté à travers les champs.
Le propriétaire du numéro 5 avait planté derrière la maison des palmiers pour adoucir la nostalgie du Lac de Tibériade, du Kinneret, où Rachel a vécu et qu’elle affectionnait tellement. Là où elle repose. Les palmiers sont toujours là. Sur la façade de la maison, une plaque lui rend hommage, surmonté d’un coeur en laine rouge de Maya Gelfman.
Je continue ma route, me dit qu’il faut que je retourne manger au délicieux
Beth Thailandi, traverse
Ben-Yehuda. La rue Bograshov est une rue animée et commerçante. Glaces, pains, pâtes, sushis, falafels et notamment au n°25, le célèbre
Falafel Gabbaï. De nombreuses petites boutiques de fringues pour jeunes. La rue monte puis descend. Je sens le dénivelé de la dune sous mes pieds. Tel Aviv, des maisons sur le sable. C’est aussi le titre d’un beau livre sur le Bauhaus.
Des maisons sur le sable : Tel-Aviv, Mouvement moderne et esprit Bauhaus de Nitza Metzger-Szmuk.
Je remarque une petite impasse : La rue
Tveria, Tibériade en hébreu. Nous revoilà sur les rives du lac. Très courte, finissant sur un mur aveugle, le mur d’enceinte du cimetière
Trumpeldor. Une maison blanche aux volets vert d’eau. De petites maisons délabrées qu’on devine à peine, cachées sous de magnifiques pins. Cinq chaises abandonnées derrière un grillage turquoise. Un portail, une allée. Où mène-t-elle ? Qui habite ici, hors du temps ? Il a suffi d’un petit crochet pour que le son prenne une autre qualité et que l’air devienne plus limpide.
Je retrouve Bograshov. La rue et l’homme. Il est à l’origine de la création dans l’urgence du quartier Nordia, d’après le nom du dirigeant sioniste Max Nordau. Nordia, un quartier pauvre, presque un bidonville mais qui permit aux Juifs qui avaient fui Jaffa après les émeutes arabes de 1921 de quitter les tentes sur la plage et de retrouver un toit. On nomme la rue principale du quartier, la rue Bograshov en son honneur, de son vivant même. Il décide alors de changer son nom de Bograshov en Boger.
Je dépasse Moon, l’un de mes restaurants japonais préférés. Un graffiti d’un téléphone d’un autre temps à l’époque où on téléphonait avec un assimon et où l’on demandait à l’opératrice une conversation en PCV seulement quand on avait à dire quelque chose de très important aux parents à l’étranger.
Je traverse la rue pour rentrer dans la librairie Tennenbaum au numéro 59. Je cherche désespérement le livre de Nahum Gutman Une petite ville avec peu de gens. La librairie fait partie de ces quelques magasins de Tel Aviv qui semble être resté en l’état depuis leur création. Je demande le livre. Le libraire me corrige, je n’ai pas donné le titre exact et me signale que c’est un verset de l’Ecclesiaste, chapitre 9, verset 14, עיר קטנה ואנשים בה מעט. Le livre est épuisé.
Des lettres rouges formant le mot Love sont pendues à une fenêtre. Je me dirige vers la synagogue au numéro 63. Je me souviens de la circoncision de mon neveu, des pleurs de mon cousin. C’est la famille Grabnov qui prit l’initiative de la construire à la mémoire d’Arié, leur fils. Ce jeune intrépide, Arié Grabnov, avait acheté en 1933 un vieux bateau danois dans l’intention de créer une compagnie de commerce maritime. Emmanuel, le premier bateau à arborer les couleurs du drapeau hébraïque. En 1934, le bateau et son équipage disparut en mer.
Je quitte la marine pour la police. Le petit square en face de Dizengoff Center porte le nom de place du Policier, Kikar HaShoter, pour honorer les policiers morts durant leur service. Il y a aussi une très belle maison Bauhaus. La rue dévale alors vers King George. Et moi aussi je me mets à courir. Juste le temps d’apercevoir le magasin de perles et plus loin au numéro 88, les grilles bleues de la synagogue massorti. Marche, cours, Rachel, conquiers une rue, arpente la ville…
rue Tibériade, Tel Aviv
Cinq chaises et un chat
Graffiti Téléphone, rue Bograshov, Tel Aviv
Rue Bograshov, Tel Aviv
Lire la marche précédente : Vers la Tour Shalom
Lire la marche suivante : Guéoula-Tchernichovski
Tel Aviv, En marchant, en écrivant: Marche n°29
Distance parcourue : 1 kilomètre
Date : 10 novembre 2014, 17 Heshvan
Pour lire toutes les marches du projet Tel Aviv, en marchant, en écrivant
Norbert
Nov 14, 2014 @ 13:56:35
merci et merci encore pour cette promenade, et toutes les autres. Je me régale
rachelsamoul
Nov 15, 2014 @ 19:01:19
Merci pour votre feed-back. C’est encourageant !