Le coming out du journaliste religieux Yaïr Cherki

Ma main tremble quand j’écris ces mots. Je repousse. Au lendemain. À la semaine d’après. À après les fêtes. À après mon anniversaire. De celui de cette année, de l’année précédente et de celle d’avant. Ça fait peut être 10 ans que j’écris et que j’efface. Parce que j’ai peur de faire de la peine à mon père et à ma mère que j’aime, parce que j’ai peur de faire de la peine au milieu au sein duquel j’ai grandi et que j’aime. Mais maintenant j’ai 30 ans. Et j’écris ces mots non pas parce que j’ai la force d’écrire, mais parce que je n’ai plus la force de me taire. Et j’écris pour mon fils qui n’est pas encore venu au monde.

J’aime les hommes. J’aime les hommes et j’aime Dieu. Et ça n’est pas contradictoire, et ça n’est pas nouveau. Je suis exactement la même personne que j’ai été, sauf que maintenant je ne suis plus le seul à savoir, vous aussi vous savez. Il était important pour moi de dire cette chose dans un lieu public alors que c’est quelque chose de personnel. Simplement pour ne plus vivre dans l’ombre et pour ne plus se cacher. Et pour arriver à fonder une famille et un foyer, et vivre vraiment.

Je vis en permanence le conflit entre cette préférence sexuelle et le fait de croire en Dieu. Certains ont résolu ce conflit en décidant qu’il n’y a pas de dieu, d’autres expliquent que les homosexuels n’existent pas. Je sais dans ma chair que les deux existent. Et j’essaye de vivre cette contradiction de toutes sortes de manières. Ce sont des choses qui sont entre l’homme et Dieu.

Et concernant les choses qui sont entre l’homme et Dieu, et la société dans laquelle il vit : il ne s’agit pas d’une mode, d’une tendance ni d’une déclaration politique, il s’agit juste de moi. Je ne sais pas si j’appellerai ça une identité. C’est juste une des choses qui fait partie de ce que je suis et de ce que j’ai toujours été, d’aussi loin que je me souvienne. À la yeshiva, à la maison, au travail. Ma communauté reste la communauté religieuse. C’est mon clan, c’est ma famille et mes amis. Ce sont mes convictions. Elles n’ont pas changé, mais elles ont été façonnées tout au long des années à l’ombre du doute. Et au sein de ce refoulement, qui oblige à avoir un autre regard sur la foi, et sur la vérité et sur la complexité.

Je sais que cette vérité que j’ai partagé ici attristent des personnes qui me sont chères et que j’aime beaucoup. Et qui m’aiment. J’espère que vous trouverez dans votre âme l’endroit qui vous permettra de juger favorablement. Et de comprendre que cet acte a été fait après mûre réflexion. Votre tristesse, peut être, découle aussi du manque de compréhension de la chose dont je parle ici. D’une pensée erronée qui suppose qu’il faut lutter contre un penchant à annihiler, alors qu’il s’agit d’une tendance de l’âme, une tendance qui est exactement comme celle qui existe entre l’homme et la femme. Moi aussi cela m’attriste. J’ai essayé d’ignorer ça, pendant des années. Et ensuite de mettre ça de côté. Et de refouler. Et de soigner. Je ne regrette aucune tentative et aucun effort, peut être que sans ces tentatives je n’aurais pas pu arriver à cette conclusion. C’est juste dommage pour le temps passé. Et maintenant, il est temps de fonder une famille.

(J’ai encore une demande: je ne veux parler de ça dans aucun autre endroit. J’espère que vous respecterez ça et ma vie privée.)