Oublie-moi cinq minutes ! de Myriam Anissimov
Je reçois enfin le roman tant attendu de Myriam Anissimov qui m’oblige à abandonner mes dames anglaises pour me replonger dans le monde de l’auteure qui ne m’est pas étranger. Est-ce un roman, appellation contrôlée ou plutôt une biographie sur sa famille ? Biographie car s’il est question de sa « petite maman » et de son entourage, Myriam Anissimov nous livre le contexte historique. Et malgré tout c’est un roman – La « petite maman » est un personnage romanesque.
Ce n’est pas un livre de plus sur les rapports mère et fille. Une passion plutôt qu’une histoire. Pas de clair obscur. Un chat c’est un chat. La fille n’a pas su, ou plutôt pu, se protéger de cette mère qui non seulement n’a jamais un mot gentil mais la critique en permanence et la fait souvent pleurer. La fille aurait pu être réduite à néant or elle saura s’en sortir et même si elle n’a pas répondu aux espoirs de sa mère elle deviendra chanteuse, écrivain, journaliste, biographe et aura plusieurs vies. Et si elle s’est fait traitée de Shlemazel, elle en est loin. Ce qui la sauve c’est son humour. Cet humour qu’elle a reçu en héritage avec sa langue maternelle, le Yiddish.
« Un Shlemazel est un personnage important du monde Yiddish qui n’a pas d’équivalent et qui peut être entendu comme une sorte de shlemil. On dit que le shlemazel est celui qui renverse sa soupe sur le genoux du shlemil et inversement. Le fait d’être qualifiée de Shlemazel me remplissait de honte (…) Toute ma vie je me suis tenue devant mon père qui m’avait classée dans le groupe des irrécupérables Shlemazels. »
Et pourtant son père l’aimait et leurs rapports étaient proches. Dans cette famille tout était dit, à part les tromperies qui de toute manière étaient connues. La « petite maman » n’a jamais trompé son mari mais dès qu’il sera mort elle s’installera avec un non-juif Monsieur Fouillet qui lui apportera la richesse qu’elle n’a jamais eue. Et lorsqu’il mourra d’une rupture d’anévrisme elle reviendra à ses sources avec Abraham Karpenfish tombé éperdument amoureux d’elle. Cette femme,Bella, si la guerre ne l’avait empêchée de s’épanouir aurait fait de grandes études en français qu’elle connaissait parfaitement. « La petite maman » était une intellectuelle, une grande lectrice et travaillait dans les Shmates.
Je me suis bien amusée à lire pour ne pas pleurer les pages consacrées à sa « petite maman » communiste et pure stalinienne et son père bundiste. M.A décrit avec moult détails la vie juive du Shtetel et sa sortie vers le monde goï. Qu’ils rejettent ou non la religion, ils restaient entre eux. Le grand-père Moshe anti-religieux, athée exigera que l’on récite sur sa tombe le Kaddish qui n’est rien d’autre que la sanctification du nom de Dieu et pas un mot sur la mort.
Le personnage de la mère apparaît pratiquement dans tous les livres de Myriam Anissimov. Une mère à l’opposée de celle de Romain Gary. Un fils ?
« Oublie-moi cinq minutes » parole maternelle qui donne son titre au livre est écrit après la mort de sa «petite maman » une ultime tentative pour finalement se rendre compte que la manière d’aimer de Bella, c’était d’être en conflit perpétuel. L’une des clefs du comportement de sa « petite maman » qui l’aimait malgré tout se trouve peut-être dans le récit des années de guerre.
Elle raconte à sa fille ses tribulations en Suisse, d’abord dans un camp de réfugiés pour femme et le père malade de la tuberculose mal soigné et la visite déplacée à son mari avec Myriam sur les bras qui tombera mortellement malade, sera séparée d’elle à six mois et sauvée par Mlle Blanche Sterki, une diaconesse infirmière en chirurgie. Ni médecin, ni infirmière pour empêcher cette visite. Elle s’en voudra. « Nul doute que Maman n’était responsable de rien. Fallait-il qu’elle se sentit coupable pour ne me révéler la vérité que dans les dernières années de sa vie, par ce chaud après-midi d’été. »
Ce qui a contribué à abimer la relation de la mère à sa fille, c’est bien la guerre, cette Shoah qui ne passe pas.
Je peux revenir à mes dames anglaises loin des ravages de cette époque dominée par la Russie stalinienne et l’Allemagne nazie.
©Esther Orner