Carte blanche : venir à bout du cocorico de l’identité par le rire
Se jouant des identités, le Collectif D’accord de ne pas être d’accord propose « Où es-tu nez ? », une rencontre inédite et ludique le dimanche 17 octobre à 18h à La Tricoterie (Rue Théodore Verhaegen, 158 à 1060 Bruxelles). Au milieu de la figure, le nez signale notre identité au regard des autres. « Où es-tu nez ? » vous propose de le refaire à coup de bistouri humoristique. Le scalpel passera des mains de Sabyl Ghoussoub (Le nez juif, ed. L’Antilope), à celles de Roda Fawaz (On the Road… a, Seul en scène) et de Sam Touzani (Dis, c’est quoi l’identité ? ed. Renaissance du Livre) pour explorer notre-votre-nos identités, singulières et plurielles, avec le rire et l’art pour fils conducteurs. Une initiative du collectif D’accord de ne pas être d’accord, La Tricoterie et ASBL Interpôle.
Pour l’occasion, une carte blanche a été publiée dans Le Soir du 6 octobre 2021
Carte blanche : venir à bout du cocorico de l’identité par le rire
Au «Connais-toi toi-même» promu depuis les Grecs comme l’exercice philosophique par excellence, notre époque a substitué le «Deviens toi-même» du développement personnel. – DR
Par Michel Gheude, Agnès Bensimon, Danielle Perez, Rachid Barghouti et Sam Touzani, pour le Collectif d’Accord de ne pas être d’accord*
La crise d’identité est la maladie de l’individu contemporain, constamment appelé à se re-définir. Au Connais-toi toi-même promu depuis les Grecs comme l’exercice philosophique par excellence, notre époque a substitué le Deviens toi-même du développement personnel. Le connais-toi toi-même me disait que j’étais qui j’étais et exigeait de moi un regard lucide sur mes vices et mes vertus. Sa pratique relevait de l’introspection et de l’éthique. Le deviens toi-même se veut pragmatique. C’est un travail. Qui nécessite une formation, un coach, une évaluation. Il enjoint au moi de savoir ce qu’il aime, de faire des choix, de définir des objectifs, de sortir de sa zone de confort en surmontant ses peurs et de développer son estime de soi pour aller vers son accomplissement. Cette injonction plonge la plupart d’entre nous dans des abîmes de perplexité. Qui donc suis-je censé devenir ? Si c’est moi qu’il faut devenir pourquoi devrais-je devenir ce que je suis déjà ? Qui devient qui ? Qui suis-je ?
Aux enfants, encore ébauches d’eux-mêmes, on demande de « s’exprimer ». Aux femmes enceintes d’écrire leur « projet de grossesse ». Aux demandeurs d’emploi de justifier leurs « motivations ». Non ce n’est pas la mondialisation qui fait peur aux individus menacés de perdre leur identité, c’est cette injonction paradoxale, cette obligation de présenter un devenir de soi qui n’est ni celui qu’on est ni celui dont on rêve mais celui qu’on pourrait être si celui qu’on est savait de lui ce qu’il ignore.
Le refuge dans le « nous »
Comment s’étonner que pris dans ce labyrinthe, les individus trouvent refuge dans n’importe quel « nous » prêt à les accueillir ? Car ce qu’on appelle l’identité, paradoxalement, ce n’est pas le moi, c’est un nous. Un nous qui donne au moi le sentiment de se reconnaître. Ce que le vocabulaire commun appelle l’appartenance. Non plus qui suis-je ? question éternellement sans réponse, mais à quel nous j’appartiens ? Ce qui est beaucoup plus simple. Répondez à ce QCM et vous aurez la réponse : Êtes-vous a) noir b) blanc c) jaune… a) chrétien b)juif c) musulman… a)de droite b) du centre c) de gauche… a) belge b)français c) allemand… a) homme b) femme c) trans… a)hétéro b) homo c) bi ? etc.
Quand le moi est dans un nous, il n’est plus seul. Il est rassuré. Il est au chaud. Il mange et dort avec les siens. Se reproduit en terrain de connaissance. Il y a nous, il y a les autres. Nous, c’est bien. Les autres, bof. Ou pire. Tous les petits jeux peuvent commencer : inclure/exclure, aimer/détester, défendre/attaquer, permettre/interdire. Et plus la société des individus se développe, plus la fièvre identitaire métastase le tissu social. Races, religions et nations sont en tête du classement. Elles ont fait leurs preuves depuis longtemps. Elles sont suffisamment vastes et souples pour que les individus ne s’y sentent pas trop à l’étroit, libres en fait d’agir à peu près comme bon leur semble, mais assez définies et délimitées pour qu’ils s’y sentent protégés et clairement identifiés. Bénéfices nombreux, obligations limitées. L’investissement semble excellent. Mais inéluctablement l’identité devient l’identitaire et le remède infiniment plus dangereux que le mal. On voit ses ravages chaque jour mettre en danger la démocratie.
La comédie pour mettre le drame à distance
Quelques-uns pourtant ne se laissent pas prendre au piège. Ils se jouent des identités. Se moquent de leurs ridicules, en bravent les interdits, mangent tout ce qu’ils aiment. Ils épousent les femmes d’un autre nous contre l’avis du leur et font des enfants d’entre nous, parfois d’entre-langues, qui grandissent aussi bien que les autres sinon mieux. Le métissage a toujours horripilé l’identité qui se veut pure, pleine et entière. C’est sa raison d’être mais c’est son illusion. Il n’y a que de l’impur, du partiel et du pluriel. En fait, l’identité, ça n’existe pas. Et ce n’est pas grave.
De ce qui n’est pas grave mais que la société s’obstine à prendre au sérieux, comment mieux parler que par la comédie ? La société voit partout du drame, c’est dans sa nature. La comédie met le drame à distance. Elle se moque de nos défauts, de nos erreurs, de nos fautes. De nos peurs, de nos jalousies, de nos rancunes. Qu’on nous fasse rire des déboires du voisin, les nôtres paraissent soudain plus légers. Le rire ébranle la conscience, fracture les fausses certitudes, relativise les convictions. Le cocorico de l’identité, la peur du grand remplacement, la bigoterie et la haine de l’étranger, seul le rire peut en venir à bout.
De l’identité donc, rions.